Spiritualité : chauffe Marcel !

De Eva Wissenz, 25. août 2017

 


"Je n’aime pas que l’on abîme les hommes. "
Saint-Exupéry, Terre des hommes

Je viens de lire sur Facebook un long texte d’Eric Baret sur l’amour (je vous le mets ici).

Un texte prenant, dense, vraiment intéressant, beau parfois, qui nous explique que l’amour amoureux est une illusion, le mariage aussi évidemment, que "Donc aimer ou détester relève du même monde fantasmatique et n’a rien à voir avec la réalité. La nature des choses, c’est l’amour. Je ne peux donc pas dire que j’aime quoi que ce soit".

C’est beau, hein ?, ça donne de l’espace, on se dit : "OK, j’avais juste pas bien compris, je vais dézoomer, m’élargir, apprendre cet amour autre, ce tout-amour."

Mais là, au passage, on s’en prend une petite, juste pour la route, car de l’amour entre nous Eric Baret nous dit qu’ "Avoir besoin d’amour, d’être aimé… Il faut se libérer de ce fantasme pour journaux féminins !" Ben voyons.

Je cite des bribes de ce texte parce que c’est ça qui est là mais il y en aurait des pages, des volumes et des kilomètres de vidéos à pointer des dérapages de ce genre, et pas que de lui.

Et ce matin, ô jour de gloire, me vient un immense ras-le-bol... parce que dites les mecs, depuis la plus haute Antiquité, vu que vous passez vos journées à laisser infuser en vous la Merveille,
vous ne voudriez pas faire l’effort-sans-effort d’une méga cohérence ?

Parce qu’on vous regarde ! On vous lit !! On vous écoute !!! Par besoin de partage ou d’inspiration, on laisse vos paroles infuser en nous !!! On cherche par vous l’inspiration et, je suis désolée, mais parler les yeux mi-clos, sur un zafu, du haut d’une chaire ou le regard fixe ne suffit vraiment pas. On a beau être des micro-facettes d’un Très Grand Tout Aimant, vous êtes très exactement pareils - et par conséquent appelés à la plus grande humilité, collés-serrés les uns aux autres, ce qui implique beaucoup d’attention, d’innombrables interractions avec des êtres de tous les règnes et une grande capacité de remise en question, beaucoup de mouvement donc.

Et, je suis désolée, je sais que je peux aller voir ailleurs si ça ne me va pas mais tu peux aussi regarder et passer un coup de balai avec moi, non ? Donc, je vais peut-être faire grincer des dents mais je vais continuer.

Car j’en ai marre de ces enseignants dits spirituels qui détournent la quête de sens pour se cautériser mine de rien.
Dites-moi, mais quelle spiritualité affirme réellement avec Eric Baret : "Personne ne nous a jamais aimé, personne ne nous aimera jamais et c’est très bien comme ça ! Personne ne peut aimer. L’ego ne peut pas aimer. Quelqu’un ne vous aime pas ; il projette plutôt sur vous la réponse à une attente."
Wow.
Mais que sais-tu de l’amour absolu dont tu prétends nous indiquer la "vraie" texture si l’ego qui te tricote et que tu tricotes à longueur de temps n’est pas aimé ? Et avec lui toutes les expressions-vibrations de cet amour absolu, justement.
Comment fais-tu pour avoir des infos sur l’amour absolu si tu ne l’as jamais goûté ? C’est quoi ces hiérarchies entre les amours ? Cette condescendance vis-à-vis des émotions ? C’est pas encore clair que tout est très très relié, par l’amour ?

Je n’ai rien contre Eric Baret, évidemment. Ce n’est pas personnel. Tout ça ne va pas l’affecter et n’a aucune importance dans l’approche non-duelle de Jean Klein dans laquelle il baigne. Au passage, j’y ai baigné aussi, j’ai étudié quelques années chez les filles de Jean Klein et ça m’a tellement pas touchée que je l’avais complètement oublié. Tout ça a son charme mais c’est invivable, c’est la beauté glacée, coupante, c’est le ticket permanent pour la déprime chronique, belle, attirante, mais plombante.

Côté public (et j’en suis) qui suit "ces-guides-qui-n’en-sont-pas-mais-qui-jouent-quand-même-à-ça", j’en ai aussi marre de ce besoin maladif de croire n’importe quoi et n’importe qui, ce besoin d’avoir un maître, et donc de valider qu’il puisse y avoir une quelconque autorité spirituelle, en buvant les paroles de sages comme Mooji qui, par exemple, met en avant la disparition de la personne mais qui ne poste pas un message sans son visage avec (ah oui j’oubliais, c’est pas lui, c’est son équipe, lui il est trop "au-dessus"...). Notez que lui au moins se revendique "gourou", comme ça c’est clair.

Et tout ce fatras qui s’accompagne d’une espèce de notions fumeuse de niveaux, de ceux qui seraient "touchés" et pas d’autres, ceux qui sont "ascensionnés" ou pas, etc. Ces trucs traînent plus ou moins partout dès qu’on gratte et ce sont des relents de goût de pouvoir mal digérés, point.
Voyons-le s’il vous plaît. Restons simples. Moquons-nous de nos roitelets, dedans et dehors.
Parce que voyez-vous, la transcendance est pour tout le monde, ici, maintenant, c’est all inclusive, avec l’ego, les émotions, le manger, les enfants, les illusions, le pipi, les ermites, les familles, les visibles, les invisibles, tout, tous. Il y a un peu plus de 7 milliards de façons humaines de vibrer ça et cette expérience nous rassemble tous.

Évidemment, dans cette utilisation qui est faite par ces enseignants de la faim spirituelle pour se soigner, je ne parle même pas du piège dans lequel ils sont pris à devoir, quand ça commence à marcher, "vendre" leur truc parce que ça devient, forcément, un gagne-pain. Très peu ont l’honnêteté de bouger, d’arrêter les retraites, les cours, les "tournées" (oui, comme les rock star), les centres-écoles. Quelle avidité à exister spirituellement est ici à l’oeuvre ? Car, en général, ils se "retirent" puis reviennent... faire la même chose, détournant encore un peu plus le message. Et ça vaut pour les religieux évidemment (à Assise, par exemple, ce qui a été fait de l’esprit de François est saisissant, c’est plus grand mais c’est la même dynamique, tout ça vient du même endroit).

Alors appelons les choses par leur nom : la spiritualité c’est aussi du commerce. Tout ce qui ne t’apporte pas des pistes ou des outils pour être libre, autonome et dégagé de toute influence, dépendance, adulation, est un commerce ; tout ce qui te dit "ça c’est comme ça et pas autrement" est potentiellement faux (y compris ce que je dis là) ; tout ce qui ne te propulse pas directement et joyeusement dans la Transcendance s’apparente à un traffic. Jeff Foster, par exemple, est juste en affirmant que potentiellement tout, absolument TOUT, relève de l’expérience spirituelle.

Il n’y a pas de problème avec participer à des retraites ou autres, se sentir proche d’autres chercheurs, c’est génial. Mais est-ce que nous avons à faire à des enseignants-postulants-maîtres qui cheminent sincèrement dans la clarté du donner/recevoir ? Est-ce que cette personne plus engagée sur le chemin et qui parle avec un micro "sait" ou est-ce qu’elle propose d’explorer dans l’accueil aimant du tout ? D’où est-ce que "ça" parle ? Vous sentez la différence ? Elle est infime. Elle est énorme.

Ce qui est fait à des esprits peut être fait à des corps. On a vu cet été l’exemple sordide de Sogyal Rimpoché à Lerab Ling au sujet duquel Mathieu Ricard a apporté une mise au point importante (lire ici). Ne vous laissez pas abuser, ouvrez vos yeux du dedans, écoutez, écoutez tout, écoutez-vous et osez dire à l’autorité spirituelle : "bon, d’accord, et alors ?"
Allez au bout de la pensée qui vous parle et regardez qui parle vraiment.
Vous êtes super intelligents-es. Tous.

Et c’est vrai, "(...) se confier à un maître non qualifié revient à absorber du poison."

Aujourd’hui, il y a celles et ceux qui suivent des "maîtres" et puis il y a cette masse qui cherche, qui youtube, qui retraite, qui séminaire, etc. Et s’avaler des heures de vidéos de pseudo spiritualité est un poison, évidemment, parce qu’on "confie" tout autant nos esprits à tous ces gens !

Est-ce qu’on peut revenir une minute à l’esprit des origines et cheminer avec de grands inspirateurs ?
Vous voyez l’invitation du Christ ?
Où est-ce qu’il vous dit : rejette ceci ?
Une seule fois : avec les marchands du temple (Jean 2, 13-21).
Même Judas, il l’intègre.
Mais le détournement de l’Esprit ça non. Ce n’est pas le fanatisme, c’est l’alignement. Ce n’est pas l’intégrisme, c’est la peine de la confusion, c’est le vrai désir du Vrai.
Et parce que nous sommes traumatisés (encore) par des siècles de moralité mal placée, nous frémissons à l’idée d’éthique.
Oui, mais il n’en reste pas moins que dans la création, il y a des choses que tu fais et des choses que tu ne fais pas. Et tout est là, dans cet alignement, dans la façon fine et attentive de s’accorder, de soi au Soi, puis dans la relation avec les autres.

Il ne s’agit pas d’être parfaits, il s’agit d’être Vrais. Plus tu es conscient-e du truc, plus c’est ton impératif catégorique, ça se fait tout seul... Et être Vrai c’est être Aimant-e.

Le Dr Howard Thurman, conseiller spirituel de Martin Luther King, disait : "Ne vous demandez pas de quoi le monde a besoin. Demandez-vous ce qui éveille la vie, puis faites-le. Car ce dont le monde a besoin c’est d’êtres qui éveillent la vie." C’est ça !

Parce que c’est possible d’aller au-delà du développement personnel, de faire passer les choses en amenant réellement les gens à pulvériser l’armure, à sortir de la matrice, à s’élever, c’est complètement possible.
Byron Katie a fait une méga-dépression dont elle s’est sortie. SORTIE. Ce qui signifie qu’elle n’utilise pas les gens pour se soigner. Elle Aime, elle te fait vraiment avancer, elle ne te propose aucun système, elle a 4 questions pour toi et tu bosses avec. Amma, tu as du hug, tu as de la zik et des encens, du pure love et une fondation énorme qui est connectée non-stop (enfin, j’espère). Armelle Six a une évolution super intéressante avec sa proposition dansée, peu conceptuelle, en lien avec l’écologie. Dans une vidéo, Isabelle Padovani parle même de quelqu’un qui a quitté son séminaire dans la matinée pour "aller se rencontrer", et sa joie est palpable quand elle dit : "c’est ça mon rêve, rentrez tous chez vous et bossez !"

Bon. Je m’illumine. Je vois que j’ai des exemples hommes versus femmes. Il y a peut-être de ça mais je ne suis pas sûre. Il y a aussi des hommes spirituellement honnêtes (et, je l’espère, humainement aussi). Pour autant, sont-elles, sont-ils tous toujours totalement cohérents ? Probablement pas, mais elles et ils sont appelés à l’être, forcément, car autrement leurs témoignages et partages ne valent rien. C’est une question d’humilité, de dynamique, d’honnêteté, de capacité de faire retour aussi.

Eric Baret aurait dû corriger ce texte et le remettre dans le vrai. On peut toujours revenir sur ses pas, affiner, épurer, pour que ce qui est donné/vibré soit le plus lumineux possible. Et il me semble que la précision et la cohérence font partie de l’éthique de toutes ces personnes dont la spiritualité est "le métier" (même si ça les fait frémir peut-être, c’est un fait) et que nous payons pour nous parler.

Attention ici, comprenons-nous bien. Je suis complètement "pour" tous les outils valables du développement personnel et la liste serait trop longue des avancées spectaculaires dans ce domaine depuis 60 ans (et cette liste n’aurait aucun intérêt). Ces outils et les personnes honnêtes qui les proposent soulagent à longueur de temps et invitent chacun à "oser être soi", ce qui revient immanquablement à une prise d’autonomie dans la sphère de l’action et de la vie affective.

Ce qui coince, c’est quand on commence à parler de Dieu, du Saint-Esprit, du Tout Autre, du Grand Esprit, de la Conscience, du Soi ou encore de la Source.
Parce que là, on touche la moelle non-visible des gens, l’essence de l’Essence, le plus intime d’un être, "le coeur à Coeur" comme disait la petite Thérèse.
Et là, face à ça, on ne sait RIEN.
C’est totalement non-observable.

Nous sommes de plus en plus nombreux à témoigner d’intuitions, du dialogue qu’on peut avoir avec des vibrations, des guidances sur le chemin, de clartés, d’élévations même, on ressent "quelque chose" qui nous traverse, on se sent respiré, élargi, guidé mais c’est toujours TOUJOURS une expérience totalement intime.

Qu’est-ce que ça veut dire ?
Que l’expérience spirituelle se vit, point.

Dès qu’elle est partagée, elle est filtrée.

Et il n’y a aucun problème avec l’existence des filtres évidemment, ils sont notre 3D, notre "humanité, mais ne l’oublions pas et voyons les filtres qui nous font vibrer, voyons-les aussi chez celles et ceux qui nous invitent tant à nous débarrasser des nôtres.

Ainsi, tu peux partager ton expérience, tu peux plonger dans l’imaginal avec Jung, Corbin ou les travaux de Francisco Varela mais ne viens pas m’expliquer "comment c’est", ni "comment ça devrait être" parce que ce sera immanquablement faux. Je veux bien des poésies, des créations, des guidances, des discussions, le partage de toutes les expériences possibles, mais pas de définitions de la Conscience, juste l’humilité de dire : je ne sais pas.

Et là je pense à Nassim Haramein qui, comme tous les pseudo docteurs de l’Eglise, utilise à fond la crédulité ambiante pour vendre sa soupe. Mais quantique ou pas quantique la Conscience n’est PAS observable selon des critères scientifiques et la science, en l’état actuel de ses connaissances, n’a rien prouvé à son sujet. Le quantique est absolument sublime et totalement inspirant mais n’apporte aucune preuve scientifique (c’est-à-dire soumise à un protocole rigoureux d’observation) sur la Conscience. Je sais, c’est moche mais souvenons-nous que la raison de la science est d’apporter des preuves. Or, la Conscience échappe au domaine de la preuve : elle Est, elle révèle autre chose. Complètement, radicalement, infiniment Autre Chose, le pur Mystère.

Toute personne qui prétend expliquer le Mystère avec des concepts humains ment.

Alors, parce qu’on porte la trace d’une peur face à l’Inconnu, parce qu’on a associé obscurantisme et mystère, parce que croire aveuglément est rassurant pour beaucoup, parce que des "initiés" pensent soumettre les autres, on se défie du Mystère, on lui cherche des explications "scientifiques" et des "outils". Mais c’est l’impasse assurée.

Nos vies témoignent de ce Mystère et du miracle d’amour qui va avec, qui Fait tout ce qui Est - nous n’avons "que" cela, et c’est bien plus que nous ne l’imaginons.

A partir de là, ouvrez vos yeux du dedans et regardez bien ce que vous laissez entrer dans vos esprits car tout est parfait, oui... mais non !

Paix.

Bonus : ça aussi ça s’appelle lotus... c’est juste pas la même chose.