Elysée, mairies, marges et maquis : lieux de pouvoir et lieux de puissance
Par ce texte j’ai eu la joie de participer à l’ouvrage collectif Osons la fraternité - Manifeste pour un monde ouvert paru récemment aux éditions Yves Michel aux côtés d’Edgar Morin, Patrick Viveret, Christine Marsan, Philippe Derudder ou encore Anne Ghesquiere.
Le voici... Semons des graines !
Elysée, mairies, marges et maquis : lieux de pouvoir et lieux de puissance
Chaque cellule de mon être le sait : nous allons « marcher notre parole » et nous réveiller ensemble.
Pour nous réveiller du cauchemar – celui des attentats de Paris en novembre 2015 n’étant hélas qu’un épisode dans longue une chaîne d’effrois – il nous faut désirer autre chose, rêver, penser, construire une puissance de vie s’opposant au pouvoir mortifère qui entend mettre la vie au pas un peu partout et sous bien des formes.
Ce rêve commun, nous allons le ressentir et le partager dans un canevas de langues dominantes et impériales épicées de mots locaux, millénaires et puissants, comme celui de hozho.
Le mot vient de la langue des Navajos et contient à lui seul la paix, l’harmonie, la beauté et l’équilibre. On dit que c’est l’un des mots les plus puissants de cette langue.
En français, nous avons ceux-ci : liberté, fraternité, paix...
Nous, assis sur les ruines des colonialismes, de guerres innombrables, de rapacité économique, de politiques d’armements et de destructions de notre environnement, nous savons pourtant qu’à toutes les époques des voix se sont élevées pour redire la vérité et la nécessité de cette poignée de mots.
Des mots auxquels des milliers d’hommes et de femmes ont rêvé, dans toutes les langues, sur tous les continents. Des mots communs, au cœur desquels nous sommes aujourd’hui des millions à nous retrouver. Des mots remâchés sous toutes les latitudes, partout où les valeurs qu’ils désignent viennent à manquer et nous font tenir et traverser toutes les tempêtes.
Toute action est précédée d’un rêve qui se transforme en vision qui se transforme à son tour en action par l’énergie du désir, de l’amour (ou du manque d’amour...).
Je parle ici de rêver, mitonner, tricoter, construire pas à pas, ce qu’on dit être une utopie depuis trop longtemps.
Liberté ? Fraternité ? Paix ? Une utopie ? Vraiment ? Ce n’est plus vrai. Le rêve d’harmonie résiste depuis si longtemps parmi les hommes que tout le monde connaît à présent ce secret de polichinelle : l’utopie est vérité.
La liberté, la solidarité, le respect, le partage, le paix, le hozho, sont possibles.
Et depuis des années, ce rêve se construit – forcément – contre le pouvoir en place, quelle que soit sa couleur, avide qu’il est de croissance démente, de profits iniques.
Dans un palais (une maison faite pour héberger le Roi), des (rois) élus se succèdent et font tourner une pantomime de boutique, sourds aux appels des clients qui désertent. Les rois sont trop haut perchés sur les tas d’or, trop occupés à surfer sur les courbes de croissances et actions cotées soutenant leurs stratégies prédatrices dont le but n’est jamais le bien-être des peuples. Le but des rois est de maintenir et d’accroître immensément leur pouvoir, ce qui les occupe beaucoup, et entre le bruit des caisses enregistreuses et celui des bottes, ils n’entendent pas, ou alors au tout dernier moment, ils enterrent la vie et s’enterrent avec elle. Laissons-les. Surtout ne nous perdons pas à tenter de les convaincre mais regardons avec lucidité ce que chacun-e peut réellement faire. Détournons-nous. Regardons ailleurs. Nourrissons la vie.
Qui décide ?
Quelle est la force de ce pouvoir reposant sur l’avidité, la cupidité et la peur face à toute une puissance reposant sur le partage, l’amour et la confiance ?
L’Elysée, c’est très loin, les ventes d’armes et les pétro-euros aussi – tout proches : vos maires. André Aschieri à Mouans-Sartoux, Edouard Chaulet à Barjac, Hervé Ozil à Lagorce et Jacques Olivier au Thor, Catherine Quignon-Le Tyrant à Montdidier, Damien Careme à Grande-Synthe et René Balme à Grigny-sur-Olme, Jean-François Caron à Loos en Gohelle, Ugersheim en transition et tant d’autres. Une troupe de maires concernés par le bien commun, engagés dans des changements réels, motivés par ces valeurs essentielles, certains osant même battre monnaie. Les mairies sont aux marges de la royauté et font le tissu politique immédiat, que nous façonnons très directement.
Et puis il y a nous avec nos bras, nos jambes, nos pensées et nos perceptions, et des années de vie à ne savoir qu’en faire. En marge du courant dominant de la société d’innombrables expériences de vie ont lieu. A la manière d’une rivière souterraine, on a pu les perdre de vue ces rêveurs, ces planteurs de légumes non-traités, ces gardiens de graines, ces bâtisseurs de paille et de chanvre, ces motivés. Nous les voyons aujourd’hui à l’œuvre partout, sur les toits des villes comme dans les champs, sur les écrans, dans nos assiettes, dans des classes, en librairie et jusque dans nos logiciels libres. Je ne parle pas là des contestataires générant des formes de résistance qui se résument à être l’opposé de ce contre quoi elles luttent sans rien créer de nouveau. Je parle de milliers de femmes et d’hommes que le Roi et sa commedia n’intéressent plus, ni de près, ni de loin, pour qui le local tisse un patchwork national ouvert sur l’international, qui vivent au quotidien des réformes radicales de leurs vies par amour de la liberté, de la fraternité, de la paix.
Longtemps, ces changeurs ont été montré du doigt. Partout. Souvent qualifiés de « dangereux radicaux », ils se sont tenus dans les maquis de la société, protégés par la distance, avançant sur des anomalies, des vides juridiques, créant des précédents. Mais si l’on se souvient que radical signifie « à la racine », on trouve alors de la beauté et de la force dans ce mot-là aussi. Car, de la coopérative paysanne en plein Marseille à la restauration d’un sol vivant au Sénégal, de la lutte non-violente contre un grand projet d’aéroport inutile à la récupération de nourriture gaspillée à re-distribuer, dans la racine de ce qui est défendu par ces milliers d’alternatives au système dominant se trouvent deux autres mots à intégrer dans nos constitutions : le sens du bien commun et celui la pleine responsabilité individuelle. Aux lieux de pouvoir, nous substituons des lieux de puissance (de l’anglais empowerment). Des lieux complètement imparfaits et non-toxiques, des lieux foutraques, festifs et engagés, où la parole reste toujours étroitement liée à une mise en pratique créative. Des lieux ouverts. Des lieux de vie où les processus administratifs sont mineurs et les débats énormes. Souvent, rien n’y est réellement figé, on teste, on élague, on sème, on plante, on expérimente et si « ça » marche alors tant mieux, viens, pollinisons.
Nous venons de quelque part – tous. Chacun-e peut y placer sa foi mais il est indéniable que nous venons du ventre de nos mères et de l’histoire de nos parents, grands-parents et ancêtres. Ces lignées. Songez à ce que l’humanité a traversé depuis qu’elle est sur terre… Combien de générations nous séparent des Romains ? 21 siècles ? Disons trois générations par siècle environ, soit 63 personnes en file indienne. Soudain, ce n’est plus si lointain.
De la Préhistoire à la chute d’Athènes, de Constantinople ou de Rome en passant par l’empire de Soundiata Keita, la construction de New York, la chapelle Sixtine, les guerres de 1870, 1914-1918, 1939-1944, l’Algérie, l’Indochine, le canal du Panama, l’effondrement du mur de Berlin, les événements de Tien An Men, le Printemps Arabe... et vous êtes là. Et nous sommes là.
La voilà la démocratie directe, ici et maintenant : donne ta voix, donne ta voix à ce qui parle pour toi de là de liberté, de partage, de fraternité et de paix là où tu veux vivre. Si la vie en yourte ne te parle pas, donne ta voix à la suppression de la dette. Si l’économie ne te dit rien, donne ta voix à la conservation des semences. Si la politique internationale te dégoûte, donne ta voix à des formations de communication non-violente. Ainsi, nous créerons un avenir enraciné dans une expérience vraie de ce que c’est qu’être humain-es et cette utopie sera la réalité de nos enfants, parce que ce rêve, cette exception, ces marges et maquis remplacent la vie centralisée, parce que ce rêve nous parle de diversité, d’autonomie, de responsabilité et de réconciliation, de liberté et de fraternité en actes, parce que nous sommes largement assez nombreux à vouloir ce rêve pour renverser toutes les puissances mortifères à l’œuvre, ou nous n’y survivrons pas."
Cliquez sur l’image pour en savoir plus sur ce bel ouvrage collectif.
A noter, une partie des droits d’auteurs va à l’association 13onze15 qui soutient les victimes des attentats.