La fausse promesse

De Eva Wissenz, 26. mars 2020

 

Il me semble qu’il y a deux racines à cette sorte d’emprise qui laisse place à l’abus en milieu spirituel, quelle que soit la forme de l’abus, que ce soit un abus de confiance émotionnel, financier, physique ou autre. Je l’ai dit dans le témoignage que j’ai partagé ailleurs, ce mécanisme est souvent subtil.

Alors, bien sûr que des fragilités d’enfance peuvent préparer le terrain, et bien sûr que ces choses arrivent lorsqu’on est en position de vulnérabilité. Mais en face, il y a souvent et sûrement aussi de grandes failles d’enfance sur lesquelles le prédateur construit sa force toxique. Alors comment s’y retrouver ? Comment s’en sortir quand on cultive la bienveillance et qu’on ne veut pas juger ?

C’est là que le recul est important. C’est là que le dialogue est vital. Et c’est là que le site de Sandrine est essentiel afin d’ouvrir le débat en soi et avec d’autres en essayant de se garder de désigner des boucs émissaires à tout va mais en avançant pour en finir avec tout ça, en soi et avec d’autres si possible.

Moi je suis entrepreneuse, j’aime l’action et j’ai besoin d’exemples concrets. J’adore la vie pour ça, parce que c’est hyper concret. C’est la raison pour laquelle je n’ai aucun problème à étudier des exemples précis. Je vais donc continuer ici ce que j’ai commencé dans un autre texte, m’inviter et vous inviter à mieux explorer le discernement.

La racine n°1 de l’emprise c’est le besoin de chef, de guru, de père, bref de quelqu’un qui va vous dire comment faire pour vivre une vie meilleure – la promesse d’une vie meilleure étant la racine n°2.

Si je me mets demain à poster des vidéos sur l’amour et l’expérience d’Amour que je vis, si je me mets à ouvrir des cours et à faire mon marketing, puis à proposer des séminaires payants et que j’écris un livre intitulé « Le choix de l’Amour », je me positionne comme une femme qui sait quelque chose de l’Amour que vous ne savez pas et, à mon contact, vous allez fréquenter cette énergie, apprendre, vous sentir mieux, vous « souvenir de l’Amour que vous êtes », autant de choses magnifiques qui vont bien évidemment vous faire du bien dans ce monde matériel, flippant, bruyant, stressant et utilitariste. Il y a donc un deal entre nous. Nos « rencontres » ne seront pas spontanées car vous réserverez du temps pour « recevoir ma parole » et vous me payerez pour cela. En gros, vous amenez vos vulnérabilités, je vous remplis d’amour et vous me donnez de l’argent pour que je continue.

C’est ça le contrat et il repose sur une fausse promesse si je ne ressens aucun amour pour vous. Il repose par ailleurs sur un leurre si en privé je maltraite mes proches. L’être humain est un tout. On peut tenter de le regarder avec la plus grande bienveillance possible mais on ne peut pas le segmenter en parties qui s’ignorent lorsqu’on prétend aider les gens (à moins d’être dans des cas de schizophrénie avérée ce qui est un autre sujet).

Vous vous souvenez du trafic d’indulgences ? Eh bien c’est pareil dans le milieu spirituel.

La vie est pénible pour à peu près tout le monde, pleine de peines, c’est comme ça, c’est le voyage et ça dure depuis des millénaires. Dans ce contexte, tout le monde cherche un peu plus de bonheur, d’amour, d’authenticité, de silence, de paix, d’abri, de partage, de fluidité, de confort. Les indulgences ont fonctionné comme des remises de peines spirituelles et c’étaient de fausses promesses.

Le pardon catholique efface les péchés mais il reste une peine, qui doit être purgée par une indulgence. A certaines époques, les croyants eurent la possibilité d’acheter des indulgences auprès du clergé, c’est-à-dire qu’ils payaient pour rester moins longtemps au Purgatoire après leur mort, et gagner plus rapidement le Paradis. En Europe, on vient de là spirituellement.

Et on vient aussi d’une culture du Livre, monothéiste (donc centrée sur une instance de référence) et axée sur la croyance en un Jugement Dernier à l’issu duquel quelque chose de « mieux » va advenir. Pris à la lettre tout le message chrétien se transforme, comme on l’a vu au fil des siècles, en un formidable outil de manipulation et d’organisation de la foi dans le but d’assurer la puissance d’une élite, le clergé.

J’écris cela. Je suis chrétienne et je sais où je vais avec ça car tout ceci continue, au sein du catholicisme dont les innombrables abus sont mis en lumière, ceci continue avec les mouvements charismatiques, et toutes les interprétations christianisantes qui ne reposent sur aucune éthique bienveillante. Cela continue avec toutes sortes de gourous : leur existence se nourrit de votre attention, de vos pouces bleus, de vos récits de vie, de votre argent.

Sur des voies parallèles, Bikram, Osho, Sogyal Rimpoché ou Mooji ont fait ou font face à de graves accusations d’abus de confiance. Tous ont promis plus de santé, de bonheur, de joie, d’épanouissement, de « matérialisation » de souhaits à tour de bras. Et très récemment le jeune Bentinho Massaro, très admiré par certains, est au centre d’une polémique grave déclenchée par le suicide d’une de ses disciples à Sedona, haut lieu du New Age.

Le jeune homme est une star anglophone énorme dans ce milieu. En Amérique et dans certains pays d’Europe, il promet carrément une humanité 2.0. Il prétend travailler gratuitement en ne recevant que des donations… dont le montant s’élève à plusieurs dizaines de milliers de dollars par mois pour financer un train de vie de nabab. Voir sur ce sujet l’excellent reportage de Be Scofield (ici), le court documentaire de Vice (ici) ou encore l’article du Guardian ().

Tout ceci est grave et doit être vu.

Mais comment discerner ?

Une des choses qui marchent bien est d’observer avec attention bien entendu, ne pas s’emballer dans une excitation de surface névrotique très favorisée par les vues sur YT (plus il en a, plus « spirituel » serait l’enseignant, sauf que bon Kim Kardashian aussi fait des millions de vues), garder son espace, son autonomie. Car il faut bien voir que toute emprise toxique repose sur un échange entre des personnes vulnérables et des enseignants perturbés qui prétendent les libérer de ne pas s’aimer assez en les rendant « plus » forts, heureux, libres, conscients, riches, puissants ou connus…

Et bien entendu, pour ne porter aucune responsabilité dans ce trafic, il est dit et martelé que tout ceci est un rêve / une illusion / se passe sur un autre plan / que chacun créé sa réalité / que tu es responsable de ta vie, y compris de tout ce qui va se passer dans ce commerce et bien sûr que "la réalité n’existe pas".

Bref, ce trafic repose sur la confusion. C’est le maître-mot.

Là où des chercheurs comme Jung ou Annick de Souzenelle ou Baltrusaïtis ou encore Panofsky nous enseignent la valeur du symbole avec une approche à la fois complètement fondée sur la raison mais aussi, et en même temps, toute imprégnée de sacré et de mystère, le discours toxique maîtrise la confusion, créant des patchworks culturels et racontent n’importe quoi.

Je vous partage un exemple frappant lu sur Facebook, un parmi tant d’autres, où un enseignant spirituel charismatique fait son retour avec un nouveau livre, et un admirateur-suiveur passionné engage la conversation. Il pointe que l’enseignant semble renier le message qu’il avait porté jusque là à savoir, en deux mots, que le corps n’existe pas (ce qui en pleine pandémie peut poser problème).

L’admirateur est choqué, et demande une clarification bienveillante. Il la reçoit sous la forme de : « Les choses évoluent bien sûr. Ce qui avait pour but la pédagogie a été remplacé par le choix de la joie seulement. » Tout est dit : j’ai évolué en mieux et je laisse derrière moi ces ouvrages de tâcherons pour suivre ma joie (et vendre mon livre).

Voilà.

Des exemples, il en aurait des tonnes dans le milieu spirituel hélas et YouTube regorge de vidéos d’enseignants spirituels plus ou moins déclarés qui nous "conseillent", depuis une estrade, un fauteuil magnifique, dans un ashram ou une salle polyvalente. Ce qui se passe dans la sphère privée est une chose, mais dès lors que quelqu’un se présente publiquement ainsi, soulageant des peines par un accès à quelque chose d’éveillé une zone d’influence se révèle et c’est là qu’il faut vraiment faire attention.

Il est bon à ce stade de rappeler que parmi les critères listés par la Milivudes permettant de démasquer les abuseurs, on trouvera la mise "en valeur des bienfaits impossibles à mesurer, comme « améliorer son karma » ou « la circulation des énergies internes » " et la présentation d’ "une nouvelle vision du monde en utilisant des termes tels que : ondes cosmiques, cycles lunaires, dimension vibratoire, purification, énergies, cosmos, conscience…"

D’autres exemples ici pour s’aider à dévoiler ce qui doit l’être : Les yeux ouverts.