Marlen Haushofer : nous, face au mur
Un ami m’a envoyé un lien vers le film tiré du roman de Marlen Haushofer, Le mur invisible (paru chez Actes Sud Babel) et comme le film ne passe pas près de chez moi, j’ai préféré lire le livre.
A peine ouvert, je ne l’ai pas lâché. Un choc aussi fort que la découverte de Conrad il y a deux ans avec Au cœur des ténèbres, celle de La société des vagabonds de Harry Martinson ou encore certaines pages de La nuit obscure de Saint Jean de la Croix. Cet usage fulgurant du verbe lancé, tendu, offert avec une extrême concentration, à la façon d’une peinture de Fabienne Verdier. Face à cet invisible et incompréhensible mur transparent, c’est ici la même lucidité sur l’espèce humaine, le même dénuement, à mes yeux la perfection littéraire, le pur génie, cette lumière à laquelle l’essentielle obscurité nous reconduit. Une fois traversé ce récit, certes les fantômes viennent à votre rencontre, mais la vie toute entière vous ouvre les bras.
Le livre de l’Autrichienne, mère de famille et assistante dentaire est plus long que celui de Conrad, mais le chemin est le même : de la vie à la mort en passant par l’amour, si fort et si lent, et la haine, si violente et si rapide. Et tout cela détaché de l’épuisante volonté de comprendre.
L’héroïne se réveille un matin dans un chalet de montagne, enfermée dehors par un mur invisible, totalement seule, ou presque. On passe des foins à l’alpage, de la traite de la vache à la saillie du taureau, des fourrés de framboisiers à la naissance des chatons, et l’hiver, le ciel, le vent, la folie rampante, et cette femme qui se dépouille de tout superflu et touche du doigt quelque chose de l’être dans un monde libéré de nos enjeux quotidiens.