Princesse K’gari - Olivier Vachez
Notes sur le vif de mon voyage qui se déroule en ce moment en Australie.
Il est 18 heure, la nuit est tombée.
En ce 10 juin, je campe au bord du lac McKenzie, sur l’île Fraser, la plus grande île de sable du monde.
Cette île est située à quelques kilomètres de la côte orientale de l’Australie, 400 km au nord de Brisbane, la capitale de l’état du Queensland.
Pour rejoindre l’endroit où j’avais prévu de camper, j’ai parcouru 11km à pied depuis la côte ouest de l’île. La barge qui, 3 fois par jour, fait l’aller et retour entre le continent et Fraser, m’y avait déposé quelques heures auparavant.
Ce soir là au bord du lac, il faisait frais ; 13°c.
L’hiver a commencé dans l’hémisphère sud. En cette saison dans le Queensland, les températures les plus basses s’échelonnent de 8 à 10°c la nuit, et de 20 à 23°c le jour. Pas de pluie, l’hiver étant traditionnellement sec dans les régions tropicales et sub-tropicales du continent austral.
Quelques instants avant que la nuit ne tombe, le silence autour du lac est presque total, brièvement interrompu par quelques oiseaux.
Leurs cris, loin de gâcher ce silence, ne font que l’accentuer… la plénitude.
L’île Fraser n’étant composée que de sable, on peut se poser la question de savoir d’où ce matériau peut provenir en une si grande quantité.
Tout a commencé, il y a environ 400 millions d’années et 600 km plus au sud.
Là, les montagnes des Nouvelles-Galles du Sud, érodées par l’action du vent et des eaux de ruissellement (pluies, cours d’eau) ont fourni la roche qui allait donner naissance à l’île Fraser. Cette roche a ensuite été transportée par les rivières vers l’océan. Ce sable formé par le temps, a ensuite été emporté plus au nord par les courants marins et le vent, et il a finalement été déposé entre Brisbane et l’île Fraser.
Le sable qui compose les îles de Bribie et de Moreton et qui recouvre le Great Sandy National Park provient de ce même processus d’érosion.
Une quarantaine de sables différents compose le sol de l’île Fraser. Parmi ceux-ci le sable océanique, de couleur blonde, contenant de nombreux sels minéraux, le sable « café », mélangé à de l’humus compressé ou le sable blanc, composé de silice pratiquement pure.
Lacs « perchés », lacs fenêtres », lacs « barrages » (1)
Situé à 100 m d’altitude, le lac Mackenzie couvre une superficie de 150 hectares. Il a été formé par le vent qui, en creusant une dépression dans le sable, a permis aux feuilles, écorces, branchages, provenant des arbres alentours, de s’y accumuler. Cet humus a formé un tapis assez épais et imperméable pour retenir les eaux de pluie et créer ainsi, avec le temps, un lac d’eau douce d’un peu plus de 5 m de profondeur. Une eau très pure comme vous pouvez l’imaginer.
Lac McKenzie, sable blanc, eau limpide…
40 lacs parsèment l’île Fraser. Ces 40 étendues d’eau comptent pour la moitié des lacs dunaires de la planète ; certains sont définis comme « perchés », signifiant qu’ils ne sont pas reliés à des réserves d’eau souterraines. Le lac MacKenzie est un lac perché. D’autres plus classiques, les lacs « fenêtres », laissent apparaître les eaux du sous-sol à leur surface. Enfin un troisième type de lacs présents sur l’île sont les lacs « barrages. » Dans ce cas, le vent en amoncelant du sable contre le courant d’un ruisseau crée un lac.
Car il y a aussi des ruisseaux sur l’île Fraser. Le plus célèbre étant Wanggoolba Creek dans lequel coule une eau si pure que l’on peine à la remarquer.
Wanggoolba Creek et sa forêt vierge.
Lac Wabby, l’un des lacs « barrages » de l’île.
La végétation
De nombreuses communautés de plantes sont présentes sur l’île. Une formidable diversité, d’autant que cette végétation pousse sur un terrain sablonneux donc pauvre en nutriments.
Sur les dunes côtières, les feuilles et le fruit de la plante Angular Pigface, Carpobrotus glaucesens, apparaissaient souvent au menu des repas aborigènes.
Le Pandanus, Pandanus tectorius peut atteindre une grande taille. La graine de cet arbre était, elle aussi, appréciée des aborigènes.
Angular Pigface
Pandanus
Plus à l’intérieur des terres, à l’abri du vent et des sels marins, une végétation plus imposante a pu s’établir. Le Banksia, Banksia aemula ou le Grass-Tree Xanthorrhoea latifolia, et bien d’autres encore.
Nous sommes en Australie et le paysage ne serait pas complet sans eucalyptus. Des forêts entières de ces arbres poussent ici.
Et puis, l’une des particularités faisant de l’île Fraser un site exceptionnel dans le monde, est la présence de forêts vierges luxuriantes poussant sur de hautes dunes de sable. Une forêt vierge qui n’a rien à envier aux autres forêts tropicales de la planète. Canopée très dense, fougères géantes, lianes, figuiers étrangleurs, orchidées, épiphytes, arbres gigantesques… tout y est.
Figuier étrangleur
Tout aussi remarquable est la présence de nombreuses espèces de champignons qui prospèrent également sur le sable. Sans eux, la forêt n’existerait pas. Ils recyclent rapidement la végétation morte et permettent ainsi à la forêt de se régénérer, malgré l’absence de nutriments dans le sol.
Voici quelques-uns de ces champignons.
Rencontre avec les dingos de l’île Fraser
Après avoir campé une nuit à lac MacKenzie, j’ai repris la marche en direction de « Central Station »
Sur le chemin, 5 km plus loin, je me suis arrêté à Basin Lake, un autre lac perché. Ayant prévu d’y passer la nuit, et avant de reprendre ma randonnée, j’ai laissé dans un arbre, un des mes sacs à dos, suspendu à quelques mètres du sol.
Précaution à prendre si l’on veut être sur de retrouver ses affaires en bon état à son retour (2) En effet, ce sac contenant ma nourriture et laissé à même le sol, aurait pu attirer la convoitise du dingo, le chien sauvage australien.
Avec l’affluence des touristes, les contacts avec cet animal sauvage sont aujourd’hui très fréquents. Par ignorance ou par bêtise, certains visiteurs, randonneurs ou campeurs, donnent à manger à ces animaux. Les dingos ont fini par faire un lien entre nourriture facile à obtenir et humains. Il est par conséquent interdit d’interférer avec les animaux de l’île et le service du parc national de l’île n’hésitera pas à mettre une amende à quiconque serait surpris en train de donner à manger à un dingo. Une amende d’un montant de 3000 dollars australiens, soit 2100 Euros environ.
Il s’agit d’empêcher les animaux sauvages de l’île de devenir dépendants des humains, mais aussi de prévenir toute tragédie. Il y a quelques années un petit garçon de 9 ans a été attaqué par plusieurs dingos avec une issue fatale, à a clé. Le dingo est donc un animal potentiellement dangereux pour l’homme. A la suite de ce drame, et sur une période de deux ans, 45 dingos ont été abattus par les services du parc national de l’île Fraser. Il s’agissait des animaux montrant le plus d’agressivité envers les visiteurs de l’île.
Donc, une fois mon sac à dos mis hors de portée des dingos, j’ai repris le chemin de Central Station, distante de 3km.
Peu avant d’y arriver, je suis tombé nez à nez avec deux spécimens de ces fameux chiens sauvages australiens, un adulte et une jeune femelle, âgée d’un an tout au plus. Cette dernière était la plus intéressée par le contenu du deuxième sac à dos que j’avais conservé avec moi, surtout quand j’en ai sorti mon appareil photo. L’animal a dû croire que je voulais lui donner quelque chose à manger.
La plus hardie des deux dingos que j’ai croisé ce jour-là. Peut-être une future femelle Alpha (femelle dominante).
L’autre animal, resté en retrait pendant tout l’épisode de notre rencontre.
Les dingos de l’île Fraser sont considérés comme l’une des races les plus pures, sinon la plus pure, d’Australie.
En automne, de mars à mai, les adultes se disputent le leadership de la meute.
Il peut aussi y avoir de terribles combats entre meutes, éventuellement jusqu’à la mort si besoin, pour la conservation de leur territoire respectif.
En hiver, de juin à septembre, la meute s’occupe des chiots (3)
Au printemps, de septembre à novembre, les adultes apprennent aux jeunes à chasser. Il semble que ce soit le plus souvent à cette époque de l’année, que les humains sont identifiés comme pourvoyeurs potentiels de nourriture.
En été, de décembre à février, les jeunes dingos apprennent les règles de vie à l’intérieur de la meute, en jouant et en montrant de l’agressivité afin de dominer l’autre. Les jeunes essayeront même de dominer les humains, surtout les enfants. Un enfant pris dans une séance de jeu avec de jeunes dingos peut être blessé ou tué.
Une meute de dingos peut compter jusqu’à 12 membres et une hiérarchie très stricte règne entre mâles et femelles.
Chaque meute possède un territoire de chasse bien défini. Le mâle et la femelle dominants (Alpha), de chaque meute, sont mieux nourris que leurs subordonnés. Ces derniers doivent se soumettre au couple dominant en s’accroupissant, et en pliant la queue entre leurs pattes arrières en signe de soumission. Le couple dominant (Alpha) aura une portée une fois l’an et les autres membres de la meute aideront à élever les petits.
Des mœurs finalement assez similaires à ceux du loup (Canis lupus). Mais le loup n’attaque les humains que très rarement. Le dingo, (Canis lupus dingo), quant à lui, est bien moins timide et n’hésite pas à s’approcher des humains.
J’ai ensuite continué mon chemin jusqu’à « Central Station »
Là, serpente un très beau cours d’eau, Wangoolba Creek, dont une photo apparaît plus haut.
« Central Station », était le lieu d’une intense activité et plusieurs scieries y ont travaillé jusqu‘en 1990. D’énormes dégâts ont été causés à l’environnement de l’île Fraser (déforestation, mines) depuis sa découverte par les Européens.
Fort heureusement, depuis 1992, l’île est intégralement protégée de toutes
les industries sauf celle du tourisme. C’est aussi en 1992 que Fraser a été ajoutée à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Figurent sur cette liste, le grand canyon du Colorado, les pyramides d’Egypte ou le musée du Louvre.
Basin Lake
J’ai donc passé ma deuxième nuit de camping au bord de Basin Lake.
Beaucoup plus petit que Lac Mckenzie, il est facile d’en faire le tour en ¼ d’heure.
Tous ces lacs d’eau douce sont l’habitat de nombreuses espèces d’amphibiens et tortues.
Au bord de ces étendues d’eau pousse une plante carnivore, la « Spoon-leaf Sundew », Drosera lovellae.
Cette plante attire les insectes avec un liquide parfumé. Etant gluant, le liquide prend au piège les insectes attirés par son odeur, qui ne peuvent alors plus s’en libérer. La plante digère ensuite sa proie.
Cette nuit là, au bord de Basin Lake, j’ai été réveillé par les hurlements d’une meute de dingos, distante de quelques centaines de mètres. Le dingo hurle mais n’aboie pas ; un autre point commun avec le loup. Toujours plaisant d’être réveillé de cette manière, même au milieu de la nuit.
A coté du dingo, de nombreux autres animaux parcourent les forêts et les dunes de l’île Fraser.
Au moins deux espèces de kangourous, le Swamp Wallaby, Wallabia bicolor et le Eastern Grey Kangaroo, Macropus giganteus. Ce dernier n’est aperçu sur l’île que très rarement, n’y vivant pas en permanence. Un kangourou nage assez bien et s’il lui en prend l’envie, il traversera les quelques kilomètres qui séparent le continent de l’île de cette manière.
Pas mal de reptiles résident aussi sur l’île. 46 espèces sont recensées dont le Lace Monitor, Varanus Varius, le Carpet Python, Morelia spilota, le Death Adder, Acanthopis antarticus ou le Red Bellied Black Snake, Pseudechis porphyriacus. A noter que les deux dernières espèces citées sont très venimeuses mais, non agressives, elles garderont leur distance.
Le Lace Monitor, VaranusVarius
Les eaux qui entourent l’île Fraser sont tout aussi riche en vie animale. Dugong, requins, 5 espèces de dauphins, 4 de tortues de mer et bien sur les baleines à bosse, Megaptera novaeanglia qui, de fin juillet à novembre, font étape ici au cours de leur migration.
Baleine à bosse et l’île Fraser à l’arrière plan.
Mongolian Plover, Charadrius mongolus, qui, en été, migre depuis la Sibérie vers l’Asie et l’Australie.
Randonnée
Traces de dingos et empreinte de pas à Basin Lake.
L’île peut être visitée avec un véhicule 4X4, mais la manière la plus douce et la plus intéressante de la faire est de l’explorer à pied. Nous retrouvons alors la nature dans son entier, notre respiration se réglant au rythme de nos pas. Notre esprit et les bruits et odeurs environnants finissent par ne faire plus qu’un. Nous sommes en symbiose avec le moment présent et, malgré le poids du sac à dos, nous nous sentons plus léger. Ne compte alors que l’instant présent. Ces sensations ne sont pas ressenties lorsque l’on se déplace en voiture avec air conditionné...
De plus, la marche à pied est le moyen de transport le plus écologique parce qu’il est le plus économe en énergie. Par comparaison, une voiture est totalement inefficace sur le plan de l’énergie consommée au regard des kilomètres parcourus. La marche, c’est l’utilisation d’une énergie gratuite dans une économie écologique.
L’île Fraser est un hymne à la nature et le meilleur moyen de s’en rendre compte est de l’explorer à pied, là où les 4X4 ne vont pas. De cette manière, on s’invite plus facilement au cœur des arbres, des fleurs, des animaux (4).
Si le cœur vous en dit, il y a possibilité d’effectuer des randonnées de plusieurs jours avec Footprints on Fraser, un tour operator spécialisé dans ce genre d’expéditions.
A la différence de la randonnée détaillée dans ces quelques pages, Footprints on Fraser utilise pour ses randonneurs les sites de camping mis à disposition par le parc national de l’île, alors que je me suis isolé en campant à l’écart, afin de trouver plus facilement l’inspiration pour écrire cet article.
Bill Henderson, le gérant de Footprints on Fraser, se fait un plaisir de partager le « spirit », ou l’esprit de l’île, avec ses randonneurs.
Voir le site www.footptintsonfraser.com.au
Bill, à gauche, avec l’un des ses clients, au pied d’un Tallow wood Eucalyptus microcorys dans la vallée des géants, île de Fraser.
Après une nuit passée au bord de Basin Lake, j’ai repris la marche en direction de l’embouchure de Wanggoolba creek (7km), là, j’ai embarqué sur une autre barge qui m’a ramené sur le continent.
En deux jours et deux nuits, je n’ai sur fait que survoler la bio-diversité de l’île. Pourtant, même un court séjour comme celui-ci permet de prendre la dimension de cet endroit où foisonne une multitude de formes de vie tout à fait fascinantes.
Pour finir, voici comment les Butchulla, le clan aborigène gardien séculaire de la région, expliquent la création de l’île.
Le nom qu’ils donnèrent à l’île est « Princesse K’Gari » (5), signifiant paradis. Selon la légende, K’Gari est le patronyme de l’esprit féminin qui aida Yindigie le messager du dieu Beeral a créer le monde. Pour la récompenser de son aide, Beeral l’a changea en une île paradisiaque couverte d’arbres, de fleurs et de lacs.
Et, afin qu’elle ne sente pas esseulée, il y ajouta, oiseaux, animaux et êtres humains.
Bien sur la vie, dans son ensemble, était loin d’être paradisiaque pour les aborigènes. Pourtant, en raison du respect qu’ils avaient pour leur environnement, les aborigènes ont pu survivre dans un climat très rude avec peu de ressources, sur une période d’au moins 50 000 ans.
S’ils n’avaient pas considéré leur terre comme sacrée, ils n’auraient simplement pas survécu.
Olivier Vachez
Juillet 2010
Notes :
(1) J’ai utilisé la traduction directe anglaise/française pour les termes « barrages », « fenêtres » et « perchés » Il se peut qu’en français on nomme ces types de lacs de manières différentes.
(2) Sur les terrains de camping du parc national, les rangers de l’île ont mis à disposition des campeurs, des abris destinés à protéger leur nourriture de l’appétit des dingos.
(3) J’utilise le terme « chiot », ne connaissant pas le mot français désignant un bébé dingo.
(4) A ce sujet, lire le livre Marcher, Méditer, de Michel Jourdan et Jacques Vigne, Editions Albin Michel.
(5) Il n’y avait pas de concept de roi, reine, princesse dans la tradition aborigène. Les Européens ont ajouté le terme « Princesse » au nom de l’île.