Correspondance avec le site "Nature humaine" : La vie en Rose
Ce texte s’inspire très librement des trois premières lettres de Nature Humaine où Rose et Mario sont nés sous la plume de Séverine Millet.
Tout a commencé comme ça.
A cause d’une forêt... Ou d’un bois...
Quelle différence ?
Cette très simple question qu’un enfant ne me posait même pas : je regarde autour de moi une poignée d’arbres dont les ombres s’étirent et se répercutent à l’infini, je sens la masse, l’odeur des mousses blotties sur les humides, le feulement des vieilles racines et le craquement creux des branches malmenées par les vents.
Où suis-je ?
A cause d’une forêt... Ou d’un bois...
Je n’ai pensé que cela. Où ? Une forêt ? Un bois ?
Aucun panneau à l’entrée ne m’a dit ce que c’était, aucune fiche ne m’a informée de ce que j’y trouverai, rien d’autre qu’un sentier, du sol, des arbres, du ciel, de l’air, des bruissements volatiles.
Où suis-je ?
Et moi la vaillante, la solide, la forte, la secouriste de collègues, la colérique, la toujours à l’écoute, la prix Goncourt et petites attentions, la MP3 et restos sympas, moi qui gère large, vaste, engagé, moi l’éducatrice à l’environnement, j’ignorai la différence entre un bois et une forêt.
C’est-à-dire que la différence je la connaissais, bien sûr, mais je me suis sentie trébucher.
Parfois ça arrive, n’est-ce pas ? On bute contre un mot, une image, quelque chose soudain de connu mais qui ne cadre plus. Normalement, je n’aurais jamais eu le temps de m’y attarder mais ces derniers temps tout n’est plus si « normal » : je m’y attarde, la forêt me ralentit l’esprit.
Pourquoi deux mots pour un même espace fait de sol, arbres, ciel, air, bruissements ?
Une forêt – sauvage.
Un bois – se définit par l’exploitation humaine.
Que reste-t-il de la forêt dans le bois ?
J’ai vu tous ces films, lu ces centaines de rapports, documentés, rédigés, analysés, jusqu’à la lie, à la nausée et là, coincée entre bois et forêt, j’ai vu ces milliers de forêts de mots dans ma tête, j’en ai eu assez de ces catalogues verbaux qui précisent nos humaines actions incessantes sur la vie, assez !
Forêt – multitude.
Bois – pas beaucoup.
Petite, une forêt devient bois puisque par nature une forêt est vaste, uniquement vaste.
Je vais, je viens, lentement j’introduis les éco-gestes de mon quotidien dans celui des autres lentement ça semble de plus en plus logique à de plus en plus de monde de le faire. Me demande de plus en plus souvent comment les gestes non-polluants de nos (pas si lointains) ancêtres sont devenus, là, maintenant, des gestes toxiques.
Allume la lumière = clic sur la centrale nucléaire – Achète des poires argentines en juin = contribue à la ruine de l’agriculture de proximité et à l’extension du trafic de marchandises – Roule seul dans ta voiture...
Qu’est-ce qui nous est arrivé ?
Vertige
Où suis-je ?
Entre bois et forêt.
J’ai cherché l’harmonie, l’amour, la détente dans les cours de step, de yoga africain, de danse balinaise, de respiration à l’envers, de fluide relationnel, j’allais, je revenais, j’allais, je revenais, c’était bon, je me faisais du bien, j’avais honte quand tout va si mal de me faire ce bien et puis tout s’est soudain tellement mis à aller si mal que me faire du bien ne suffisait plus pour respirer. Je dormais mal, prise dans un filet de sensations artificielles et, à y penser, même cette énorme campagne d’information sur les déchets que j’ai portée avec tant de passion, eh bien, au fond je ne l’ai pas sentie... Évidemment, les déchets, question odeur !
Et me revoilà juge... Ici aussi, ça pue le tas de compost qui finit de s’assécher en se vidant de ses gaz, ça pue la vie pleine de mort que nous vivons tous. Je traduis dans ma vie des faits en chiffres et en tableaux aussi sûrement que d’autres en communiqués de presse et reportages formatés. Je milite dur, j’agis ou plutôt non, je réagis et il me semble là, maintenant, que ces réactions ne sont qu’ombres d’actions réchauffées dans des casseroles d’émotions mal digérées.
Des sangliers détalent en contrebas d’une clairière. Envie de courir, de recentrer toute l’énergie passée dans la lutte, ne pas la perdre, non, mais la transformer, la rendre efficace, mieux, autrement – comment ? Comment rendre plus efficace cet humanisme qui me tient ? Je voudrais dire « optimiser » à condition d’arriver à faire entendre « miser avec optimisme ». Je me sens vivante, aimante, calme, optimiste.
Une image de cours de gymnastique douce... Je m’étire dans une salle surchauffée longtemps fréquentée. Détente. Sensations artificielles peut-être mais c’était tout de même mieux que rien. Je crois que j’ai souvent changé tout en restant la même avec une impression d’allègement. Mario me vient en tête soudain, dit que mes yeux sont d’un vert marécage, d’un autre que lui j’aurais grincé, me sourit lentement à me faire fondre, m’assouplit. Si j’étais, si je m’écoutais... Il m’a donné rendez-vous ici, rencontrer quelqu’un dont on lui a parlé, une artiste écologique. Qu’est-ce que c’est que ça ?
J’ai un vieux moteur. J’ai calé, pesté, bloqué et de rage du rendez-vous manqué me suis mise à marcher droit devant, entre les arbres. Soudain c’était la forêt. Et quelque chose a commencé là. Jusqu’où vont les racines des arbres ? Profondes jusqu’où ? Combien de siècles par racine de chênes ? Combien de milliers d’insectes ? D’animaux ? De nids ? De terriers ? De fleurs sauvages ? Toute ces vies dont j’ignore les noms, les détails, les coutumes...
Pourtant la matinée s’annonçait simplette, une aube pas fanfaronne pour deux sous, juste là, disponible, prête à ce que j’allais faire de mon samedi : revoir un homme qui me plaît, se rencontrer, partager quelque chose.
Je savais que...
Je savais aussi que...
Je savais tout cela et plus encore même mais je ne sentais pas, plus vraiment : je me photocopiais. Aie, la vache ! – justement, de l’autre côté de la clôture, elle me mate l’œil plat. Mais qui dit qu’elle est morne ? Me revoilà à attribuer, à déchiffrer, affubler de mes mots, penser avant de ressentir. Tant pis ! Quitte à parler pour elle, je la dis alors en colère de sentir son veau futur steak. Je la sens furax, un peu comme ces oiseaux de plus en plus nombreux à se jeter sur les autos pour en finir, un peu comme ces manifestants de tous les corps de métiers qui font le corps de notre société de Foldavie, corps bel et bien vivant dont ils sentent qu’on le taillade.
Impatiente de changement je rêve d’éveil et me tolère à nouveau, moi qui croyais me connaître, qui croyais savoir. Comment, au milieu de ces arbres à la beauté inouïe, de tous ces verts différents, de cette beauté, comment ai-je pu penser que je pouvais être définitive ? Soldate. La bille en tête fonctionne mal et génère les crispations. Rien que sous mes pieds des systèmes cohabitent en permanence... Cette Rose conçue dans un élan d’amour un jour, cette fillette ainsi baptisée de ce nom de fleur dont j’eus honte parfois, Rose allant vers le néant, Rose de passage, avec l’envie si forte sous ses épines de fertiliser les possibilités constantes. Me sentant si petite et si vaine, t’es rien terrien, microbe sous les arbres séculaires, si minuscule et si forte en même temps, me suis agrandie, me suis espacée, là, entre bois et forêt.
Regarde autour, les ongles dans la terre et les yeux au ciel, respire sous la cime inatteignable et trace le premier cercle. Mets dedans tout ce qui soudain semble si superflu, encombrements, mensonges, arrangements, raisonnements et autres patinoires personnelles - je suis vivante, j’ai besoin, physiquement, affectivement, socialement, relationnellement, professsionnellement, viscéralement besoin d’un environnement vivant. Autour du premier cercle des manques, des frustrations et des impasses, j’en ai tracé un second : ronde de tous les possibles, rêves, idées, sensations, cercle agrandi de ma nature humaine, cercle de patience et d’expérience.
(c) E. Cantavenera
avril 2009
Nature Humaine est une association qui rassemblent des porteurs et accompagnateurs de changement. Une Lettre-outil de changement est régulièrement diffusée sur le site : www.nature-humaine.fr