Atelier d’écriture : L’esprit des lieux
En guise d’introduction aux textes de l’atelier d’écriture...
A nous toutes avec nos huit mains huit pieds venues du froid, de Rancon, de la lande Frochet, de la Brame, nous voici autour d’une table que nous voudrions ronde. Quatre coeurs et du vertige à se mettre vaillantes face à face avec le grand monde au bord d’une simple feuille.
Enfouies dans les volumes de la bibliothèque, derrière les mots que je dis, je tente de mon mieux de m’effacer pour les laisser évoquer, affiner, écrire, apparaître et être sans rien imposer, les amenant à révéler l’esprit du lieu qui les habitent et où, accessoirement, elles habitent.
Comme souvent, timides, les femmes confient qu’elles aiment ça mais si souvent n’osent pas ou ne savent chercher, puis trouver, du temps, pour ça, écrire. Ici, elles peuvent et osent entre inconnues se lancer sur leurs pages blanches déjà pleines, avant même que le premier mot n’y soit tracé, de tant et tant d’attentes lentes. Du soir au matin et du matin au soir, ailleurs, dans leurs vies, femmes de lieux qui choisirent le hameau, la roche, la rivière, l’ici et maintenant de leur Limousin quotidien pour voguer tranquilles... qui vers le Moyen-Age et les Amérindiens, qui au fil de l’eau jusqu’au Gange, qui vers toutes les questions qu’un morceau de bronze sculpté-carbonisé pourrait poser.
Partout les femmes tissent les mots qu’elles disent, chantent, écrivent, fredonnent ou content, partout se trouve l’esprit des lieux qui les inspire et enracine leurs jours. Le lieu n’est pas à nous, son esprit parfois nous traverse et sans mots pour le dire l’inattentif, le trop-pressé ou l’affairé ne sauraient peut-être plus en voir la beauté. Avec leurs voix de femmes, écoutez celle de leurs lieux-dits.
Eva Cantavenera
"L’esprit des lieux" est le thème d’un atelier d’écriture proposé à la bibliothèque intercommunale de Roussac, dans le pays de Saint-Pardoux, en Limousin durant quelques rendez-vous de l’hiver 2010.
Les textes suivants, de Catherine Simon, Carine Godard, Françoise Bourély et l’Atelierre, ont été lus au Printemps des Poètes 2010 à Balledent.
Mandragore de Catherine Simon
J’entends la voiture repartir... me voilà de nouveau seule. Il est venu m’apporter une petite bouteille de tisane de sauge, sans échanger une seule parole… juste un regard bienveillant qui me soutient dans cette épreuve… Je retourne au pied du rocher, à l’ombre bien légère du petit chêne. Au loin la brume matinale se dissipe et laisse apparaître le paysage apaisant de cette campagne limousine…
La vue porte loin du haut de cette butte de Frochet où j’ai choisi de vivre ma quête de vision. Autour de moi la bruyère est en fleur et bruisse des mille insectes du mois d’août. Je commence à avoir moins peur des abeilles, elles deviennent peu à peu mes compagnes et j’apprécie leurs présences. Le soleil n’est pas loin du midi, il fait déjà bien chaud, une vague angoisse m’envahit, quelle folie cette quête au mois d’août !
Voilà déjà deux jours que je suis ici, sans boire ni manger, il m’en reste encore deux, et deux nuits, si je vais jusqu’au bout de ce rituel amérindien d’une grande puissance, et bien difficile en été !
Je me suis engagée sur cette voie pour avoir une vision, une réponse à mes questions... Mais pour le moment seul le vent me souffle d’avoir de la patience et, parfois, Dieu que le soleil tarde à descendre à l’horizon ! Autour de moi, la brise agite doucement ma guirlande multicolore faite de 405 sachets de tabac, soutenue par quatre fourches aux quatre coins cardinaux. Les drapeaux des directions m’indiquent le sens du vent et animent ce paysage silencieux et paisible sous le soleil. A présent que je suis seule avec moi-même je me sens soutenue par la signification et l’organisation de ce rituel, je perçois mieux le sens des couleurs indiquant les directions ainsi que la présence de mes prières enfermées dans les petits sachets de tabac.
J’ai voulu venir ici car cette petite colline recouverte de lande, dominant la région, est hérissée de place en place d’un amas de roches de quartz blanc, donnant à cet espace une énergie particulière. C’est ici aussi que se déroule une partie de la légende de la mandragore qui m’accompagne depuis que je suis arrivée dans le pays. J’aime cet endroit mais aujourd’hui rien ne me semble hospitalier. La tête vide, je m’allonge sur ma peau de bison, un sentiment de désespoir et de solitude m’envahit, silence… deux buses spiralent très haut dans le ciel.
Mon regard les suit vers le soleil.
Leurs cercles qui s’entrecroisent m’attirent vers le sommeil.
Je suis Alix de Joncherolle.
Je suis la fille du châtelain et suis assise au même endroit, au sommet de ces rochers blancs qui dominent le pays. Il fait froid, c’est le crépuscule, l’heure entre chien et loup, et la pleine lune s’annonce resplendissante, brillante, indifférente, éclairant le silence angoissant qui plane sur ce lieu désolé…
« Ils » ont tiré au sort, celle qui sera donnée à la voracité du monstre,
« ils » m’ont accompagnée jusqu’ici apeurés et sont repartis honteux de leur peu de courage… Oh, je me sens abandonnée de tous, j’ai peur, et prie de toutes mes forces pour qu’un vaillant chevalier me sorte de ce cauchemar.
Voilà deux ans que mon père est parti en croisade emmenant avec lui les hommes de la région, laissant le pays sans défense face à un nouveau danger : ce dragon sorti du fond des âges qui dévaste la campagne jusqu’aux portes de Limoges. Les bourgeois apeurés ont conclu un marché pour qu’elle cesse de les menacer : une jeune fille vierge à croquer un soir de pleine lune… tant d’âmes y sont déjà passées sans jamais assouvir sa voracité ! Et personne n’a encore osé l’affronter ! Pour me donner courage, je pense à mon père, lui aussi dans la guerre et prie pour que cessent tous les carnages, que mon sacrifice ne soit pas inutile… La misère est si grande !
Je frissonne sous ma cape de laine, dans une attente douloureuse, quand une respiration sifflante attire mon attention... A quelques mètres de moi se tient la bête mythologique...
Tête de serpent, corps de lion, queue fourchue, ailes de chauve souris, énorme, puissante, terrifiante, ses écailles lui font une carapace bleutée qui luit sous la lune. Sa gueule me montre des dents effilées, plus pointues que des crocs de loup. Nerveuse, elle va et vient au pied du rocher.
Ses yeux fendus, comme ceux d’un serpent m’observent sans cligner.
Sa queue fouaille à gauche à droite comme celle d’un chat qui attend le bon moment pour attaquer sa proie.
Une chouette hulule au loin, une autre lui répond.
Puis le silence s’installe sous la lumière blafarde de la lune.
Elle s’approche du rocher, s’assoie, replie ses ailes et m’observe, à la fois menaçante et intriguée. Chacune retient son souffle. La lande semble attendre le dénouement tragique. Je me sens devenir souris et voudrais me cacher…
Quand soudain ma peur s’évanouit... Je descends de mon rocher et m’approche d’elle comme je l’ai toujours fait auprès des animaux rétifs ou méfiants, avec douceur mais assurance, main tendue, regard baissé, je la sens curieuse prête au dialogue, mon attitude la déconcerte. Je m’enhardis et me mets face à elle, énorme, majestueuse, mélange de toutes les créatures de l’air de l’eau de la terre et du feu.
Dans un geste de soumission, elle baisse la tête, se couche et s’adresse à moi et je l’entends me dire...
Elle m’explique son attitude, sa solitude, ce qu’elle sait des forces de la nature, ce qu’elle veut transmettre, mais que personne ne comprend.
Elle me dit représenter les éléments, me parle des hommes qui ont perdu le contact avec les esprits de la terre, me dit toute la nécessité de faire alliance avec elle, qu’elle peut nous apprendre à travailler avec ces forces, et non les combattre, ou les anéantir.
Elle me dit sa souffrance d’être le miroir de nos violences et de nos haines.
Elle est ce que l’on fait d’elle ce que l’on pense d’elle.
Mais elle a un cœur, qui attend depuis longtemps que l’on reconnaisse en elle sa position de médiatrice entre les hommes et la puissance des éléments. Elle est le volcan, l’océan, le vent, la moisson… Son cœur est fait de l’énergie universelle contenue en toute matière et il faut apprendre à le conquérir avec amour, avec le respect dû a toute chose vivante.
Depuis longtemps elle cherche une âme pure, sans peur et prête à recevoir son enseignement, une femme qui puisse le transmettre à ses enfants. Nous en étions là de notre passionnante discussion, quand le bruit d’un galop retentit dans le silence bleuté de cette nuit magique.
Un chevalier surgit, l’épée scintillante sous la lune et fond comme l’éclair sur la bête surprise !!! Enfin, on ose l’affronter ! Du haut de mon rocher, j’assiste impuissante au combat rituel de ces deux réalités : archaïque et éternelle, temporelle et humaine.
La nuit porte au loin les cris de la bataille.
L’homme est courageux, son amour pour Alix le rend intrépide. Il pique, taille, esquive les terribles griffes de la mandragore, il virevolte autour d’elle, sans relâche la harcèle, et l’aube les trouve enfin, épuisés mais vivants.
Il est à terre, sa mule est blessée. Ils se regardent, se jaugent, reprennent souffle, l’issue du combat est proche, un seul doit gagner.
Mandragore le sait, inutile de discuter.
Ses trois âmes sont liées.
Les dés sont jetés, mais la graine est semée.
La voilà qui s’élance !
Renverse le chevalier qui, désespéré, enfonce son épée dans un défaut de sa cuirasse…
Un rugissement terrible résonne dans l’air du matin, un dernier coup de griffe et la voici qui s’éloigne, vaincue, accroche mon regard, semble me supplier de ne pas oublier… Et s’en va en laissant derrière elle une traînée de sang…
Le chevalier est immobile, étendu, comme mort.
Je m’approche, vois qu’il respire encore, vais chercher de l’eau pour laver ses plaies, impressionnée par tant de courage. Je défais son heaume et reconnais Guyot de Saint-Quentin, fils du baron voisin. Je remercie le ciel d’avoir exaucé ma prière...
J’ouvre les yeux, je suis au pied des mêmes rochers. La lande est toujours là. Il me semble encore entendre les rugissements du combat… Aujourd’hui, la bruyère est en fleur, il fait beau et bon, il règne une paix bienfaisante. Les abeilles bourdonnent et font chanter les couleurs. Chaque capitule est visitée par la petite ouvrière porteuse de la nourriture du soleil.
Il y a sûrement plus de fougères qu’avant, la bruyère n’est plus ramassée pour faire de la litière, il n’y a plus de moutons ni de bergère.
Il y a moi et le vent qui agite doucement les bouleaux, et la buse qui envoie son cri strident dans l’air surchauffé de ce mois d’août. C’est peut-être elle qui m’a sorti de ma vision…
Mon regard balaie l’espace qui s’étend autour de moi, étonnée de me trouver au même endroit que celui de mon rêve. L’horizon a changé et porte les empreintes menaçantes des hommes : au nord, la Vienne et la centrale nucléaire de Civaux, si près de Poitiers, son panache de vapeur s’étire mollement et va rejoindre la brume laiteuse de l’horizon... à l’est, les monts de Blond, boisés, verts, qui attendent avec crainte que le TGV coupe en deux ce massif encore sauvage et plein d’une histoire pas encore racontée... au sud le clocher de la belle collégiale de Lesterps rivalise avec le château d’eau… J’entends, assourdie, sa cloche qui sonne l’angélus pour des fidèles infidèles… Tout le lieu me parle de cette légende.
Je suis étourdie par l’enseignement de la mandragore.
Se peut-il que j’aie reçu ce qu’elle voulait transmettre sans avoir pu le faire dans cette époque sourde encore à cette réalité ?
Mais l’esprit n’a pas d’âge… et comme une graine attend le bon moment pour germer.
Je connais la suite de l’aventure.
Tout est rentré dans un ordre déjà depuis longtemps établi : Alix, sauvée par son chevalier, l’épouse, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…
La légende dit que la bête, noyée dans l’eau de l’Eauperide fut ensevelie dans un lieu proche de l’étang. Elle dit aussi que sous son tumulus il y a une porte de fer et que quiconque la franchit est maudit ou… a la connaissance.
Tout me parle à cet instant.
Le quartz sous mon dos, la terre sous mes pieds.
L’air qui vibre et s’illumine de milliers de points de lumière étincelante que je suppose être l’Energie de Vie ou Prana que je perçois à présent. Il y en a partout, tout est fait de cette lumière, toutes se connectent entre elles et véhiculent l’information. Les abeilles m’entourent, je me sens l’une d’elle, je perçois dans ma bouche un goût particulier, une odeur douce et sucrée, la couleur des fleurs m’offre leur langage, leur saveur, tout vibre à l’unisson, je veux arrêter le temps, rester éternellement dans cette extase d’infinies reliances. Infinie compréhension… infinie compassion. Je sais enfin ce que veut dire "mitakuye oyasin", le "tout est relié" des Lakotas dont je suis l’enseignement depuis quelques années. Je suis dans un bien être total où chaque particule de mon corps fait partie du tout, et je ne veux plus en sortir… Un bain d’amour d’une infinie douceur…
Un avion à réaction passe à basse altitude, ses moteurs assourdissants déchirent l’air et tranchent net mon état de grâce, je me bouche les oreilles et pleure sur une telle intrusion, - si peu de respect pour la vie -, sur l’arrogance des hommes.
Je retrouve mon corps, ma faim et ma soif mais je suis remplie d’une joie indicible. La distance entre moi et le reste s’installe de nouveau, la terre devient piquante, et le rocher trop chaud… La plume d’aigle accrochée à la fourche centrale me cligne de l’œil, merci Alix, merci mandragore, merci les anciens. Le message est passé !
Le jour viendra bientôt où chacun de nous saura reconnaître son appartenance à Grand-mère Terre, sa reliance avec l’Univers, nos énergies enfin réunies feront chanter la VIE et honoreront la lumière.
Catherine a participé à l’émission "Des Français sous le tipi" de S. Alzial, diffusée "Sur les docks" de France Culture le 9 juin 2010. Association de Catherine Simon, Le champ des toiles.
Remonter à la source de Carine Godard
Quand je remonte le cours de ma mémoire...
Je trouve quelques flaques,
dans lesquelles je saute à pieds joints,
le clap clap de mes bottes
courant sur la terre humide des champs.
L’eau qui coule et serpente
sur les pierres anguleuses de la rivière.
Elle s’étire au loin
entre les arbres et les collines.
Douceur du chant de l’eau qui murmure à mon oreille.
La force du grand chêne qui plonge ses racines sur la rive.
Le tumulte joyeux des cascades
qui se jouent des obstacles
pour suivre leur mouvement, leur danse.
Brame... qui me portes vers l’âme...
Chercher d’où tu viens
et où tu vas,
connaître tes sources cachées,
comme trésor enfoui,
trouver les passages secrets
entre la mousse et les cailloux.
Boire pour étancher ma soif de vie,
apaiser le feu de mon désir,
apprendre à lire l’invisible,
laver mes yeux.
Me laisser glisser dans ton lit ,
rouler dans tes replis,
aller vers le fleuve de vie,
s’élargissant vers l’océan ,
allant et venant
dans un rythme perpétuel.
Onde voluptueuse,
bercement temporel,
qui me nourris et qui m’apaises.
J’ai remonté le cours de mes désirs et je suis allée vers toi...
Je me suis assise près de toi, Ganga, et j’ai pleuré...
L’eau parle à mon âme
ici aussi,
la même eau que mon ruisseau,
la même eau que dans le ventre de ma mère,
la même eau que dans mon ventre.
Tout est relié.
La porte de l’eau
en ouvre d’autres.
Elle pousse mes émotions
à sortir de leur dormance,
à sortir par chaque pore de ma peau,
à ruisseler vers la terre,
pour féconder une nouvelle graine,
germe de renouveau.
Je me suis assise et j’ai écouté le chant de mes larmes,
le chant de mon âme,
des abîmes de la tristesse
au plus profond bonheur.
Mes larmes coulaient comme l’eau dévalait les montagnes.
La source appelle mon âme,
comme la rivière appelait mes jeux,
appelait mes voyages imaginaires.
Le désir d’ailleurs,
d’aller voir derrière la colline,
derrière la paroi du réel.
Source cachée,
je sens ta présence tout là-haut,
dissimulée dans ces montagnes vertigineuses.
Le chemin vers toi serpente
et se joue de moi.
Une montagne nous sépare.
Une montagne nous relie.
Des cataractes d’eau dégringolent du ciel
sur les routes périlleuses de l’Himalaya.
Himalaya ô grand roi,
tu gardes le chemin vers ta fille,
source de vie,
qui devient en grandissant mère des hommes...
Ganga, mère sacrée,
apprends moi,
pétries moi de ta force.
Je t’honore autant que je te crains.
Je suis là devant toi,
devant ce pont qui tisse un lien
avec un monde inconnu.
Toute petite,
incapable de le franchir.
Ce pont suspendu au-dessus du vide,
traverser ce vide
et regarder le tourbillon de tes eaux.
Franchir ce pont,
quitter la rive du passé,
tenter d’être dans ce présent
et avancer vers une terre inconnue,
son nom est confiance.
La peur est ma compagne de voyage,
je voudrais l’emmener repousser ses limites,
dépasser la ligne de fuite.
La fuite est parfois une réponse,
on ne sait où elle va,
mais on peut la prendre,
et suivre les étoiles sur la route.
Avec le désir de te rejoindre,
la peur s’en mêle,
m’enlace dans ses voiles,
et tisse sa chrysalide.
Impossible de bouger,
l’immobilité offre l’observation.
Je me vois,
je te vois,
ton reflet dans mes eaux.
Je plonge dans mon émoi,
je n’y vois que du feu.
Un jeu qui se joue à deux.
Danse du elle en lui,
et de lui en elle.
Les ailes luisantes de l’amour,
emportent la raison
pour qu’elle rende grâce.
Corps à corps,
tête à tête,
cœur à cœur,
ce fil qui nous relie,
se tend pour vibrer aux cordes du sensible,
de l’invisible...étincelle de vie.
Je me suis assise près de toi, et j’ai pleuré...
Pleuré de joie,
ivre de toi.
Ton feu et mon eau
dans une même danse,
dans une même transe,
dans un même thème peau à peau,
accorder nos souffles.
Cette chaleur qui serpente le long de mon dos,
remonte mon échine
et vise le sommet de mon crâne,
pour étirer ma félicité,
au-delà du dedans,
au-delà du dehors.
Effaçant les parois,
juste là,
dans l’espace de l’instant.
Je vois cette source.
Il y a ce pont...
Je m’assois près de ce pont et j’observe...
Je vois ce rocher affleurant la surface,
impassible,
plongeant ses racines dans des abysses infinis,
vibrant au présent de l’ici et maintenant.
Je le vois au creux de moi,
comme un diamant enfoui sous la poussière,
au milieu de mon désordre,
je ne l’avais même pas vu.
Il me faut le dégager des décombres,
entrer en mouvement.
Laisser le vent découvrir chaque recoin de mon corps,
le souffle ouvre des espaces inconnus.
Il agrandit son territoire
pour y établir son temple,
garder la source claire et vivifiante.
Il s’invite,
je le laisse me visiter
et inventer des paysages lumineux,
aux formes toujours changeantes,
mouvantes
comme le sable du désert.
Le vent sillonne mes contours
et dessine le plein et le vide.
L’un me ramène à l’autre
dans un mouvement continu
de flux et de reflux.
Cycle de vie-mort-vie...
orchestré par une main invisible.
Portant sa main protectrice à mon front,
portant son empreinte entre mes yeux,
au-delà de mon regard,
au-delà des apparences,
au-delà du miroir.
Je m’assois...
Je vois au travers de ces voyages,
mon fil rouge se dérouler,
la couleur des mots se déployer,
la vie danser sa liberté,
et me donner l’eau à la bouche...
Terre insulaire de Françoise Bourély
C’est un pays d’eau
et de lumière.
Avec de grands ciels changeants, ponctués par les roses et les mauves de l’aurore
ou les rougeoiements du couchant.
C’est un pays d’étangs
où se mirent les nuages
et les dentelles givrées des branches de chênes moussus.
Le royaume préservé des foulques et des canards sauvages.
C’est un pays de landes et de tourbières,
de haies et de bocages,
de fougères et de bruyères.
Une terre humide, lourde, collante sous les pieds,
où serpentent les ruisseaux et coulent les rivières.
Un vallonnement de forêts illuminées en hiver par les baies rouges de houx brillants.
C’est un pays de vent effilocheur de nuages
et de pluie passagère
au rythme de marées lointaines.
De ciels immenses troublés parfois
par les vols harmonieux et cependant criards
de grues cendrées.
C’est un pays comme une île
où l’on se surprend à imaginer, parfois, l’océan,
juste derrière la rangée d’arbres,
au loin,
et cependant si proche.
D’aucuns y ont même édifié un phare, témoin s’il en est, de l’authenticité de son insularité.
Dans ce paysage apaisant,
tout en courbes douces,
où l’on parcourt les chemins creux,
où l’on ouvre son regard du sommet de buttes ombreuses,
il arrive, de temps à autre,
de ressentir cette sensation infime
d’appartenir à un roman de George Sand.
C’est dans ce pays que je vis,
à ma guise,
entre terre et eau sans cesse entremêlées,
entre mousses et murets.
Je vais où bon me semble,
libre et légère.
Forêts et sentiers me livrent doucement leurs secrets.
J’ai choisi mon village, île parmi tant d’autres,
délaissant mes origines multiples.
J’ai fait mon port d’attache de ce hameau juché sur son promontoire
surplombant la rivière.
J’en connais désormais les coins et les recoins.
Je trouve mes passages,
des portes me sont ouvertes.
J’ai le privilège de pouvoir les choisir.
J’ai même découvert « le bout du bout », un lieu magique,
sous ce marronnier centenaire
où les voisins se réunissent parfois.
Peu souvent, il est vrai.
Permanents et intermittents ne se côtoient guère,
nostalgiques pourtant de ces grands feux de joie
qui les ont un temps rassemblés
sous la lune de la St Jean.
Mais ils sont heureux de se raconter lors de ces quelques moments de rencontre
et parviennent alors à construire les ponts nécessaires au maintien de ce lien tissé entre eux depuis longtemps.
Dans ce village plutôt silencieux,
plutôt déserté en hiver,
rouvrant des maisons en été,
une nouvelle famille est arrivée l’automne dernier.
Un événement discret, quasi secret,
pourtant fêté en grande pompe,
réservé à quelques uns, dits initiés.
Une installation authentique, un accueil de bon aloi,
à faire pâlir d’envie les adeptes de l’île de Vassivière !
Oui, j’étais là, j’ai flâné autour de chacun,
j’ai tout vu, tout entendu,
les émotions diverses,
les enthousiasmes discordants,
les témoignages de l’artiste...
Une bien curieuse famille que cette famille-là !
Dure, figée, meurtrie,
les épaules basses, les yeux vides.
Une absence de regard difficilement soutenable.
Des corps pétrifiés, dénudés ou presque.
Triples silhouettes humbles et ternes dans le bleu du ciel
en dépit des bras enveloppants de l’enfant.
Repoussantes et fascinantes à la fois.
Tant de violence contraignant le regard.
Sur un si petit espace.
En terre de résistance limousine !
Ah, les langues se sont déliées au village !
En petit comité, il s’entend.
Chacun y est donc allé de son commentaire :
« Pas même une figure de proue »,
« Juste bonne à être un épouvantail »,
ou bien :
« Dans le meilleur des cas, les oiseaux viendront y nicher »,
« J’y accrocherai bien un sari indien »,
ou encore :
« ça me fait trop penser à Oradour-sur-Glane »,
« Même pas possible d’y faire ses griffes » s’est sûrement dit la petite chatte couleur isabelle...
Le chien du village a aboyé comme un fou à sa rencontre.
Chacun des villageois est allé se rendre compte par lui-même,
avec discrétion,
quelquefois accompagné d’un autre de ses voisins, comme d’un réconfort,
pour voir de ses propres yeux cette fameuse famille.
Unis à leur manière dans leur perception.
Choc frontal de la nouveauté !
Utopie que de penser parvenir à lier les diverses sensibilités
dans un domaine aussi mouvant que celui de la création artistique !
Peut-être l’avez-vous compris, cette « famille » est une sculpture installée dans le jardin
d’un intermittent du village.
Une idée de citadin soucieux de soutenir un artiste ?
Ou bien à la recherche de certitude ?
Cette sculpture a pour nom « la famille ».
Image troublante et douloureuse dans ce pays encore bouleversé par de lourds épisodes historiques.
Un critique inspiré trouverait certainement matière à écrire un superbe article
sur une nouvelle conception de l’art contemporain en zone rurale !
Peut-être n’y a-t-il pas de quoi fouetter un chat...
Les violettes sont sorties, les grues reviennent.
Le printemps arrive. Celui des poètes, couleur de la femme en marche !
Bouquet final de l’Atelierre... qui composa ce bouquet-racine et poétique accompagné d’un texte de la fleuriste de Saint-Amand Magnazeix.
Il était une fois une racine, sur le bord d’un chemin creux, abandonnée à son triste sort. Par le plus grand des hasards, un jour des yeux bienvaillants se sont posés sur elle. Elle a quitté son endroit de nature, des mains se sont occupées d’elle.
Notre racine s’est trouvée nettoyée, lustrée et parée, pour finir sa transformation, de quelques fleurs.
Alors une nouvelle vie s’est offerte à elle. Telle une princesse, elle a été regardée, admirée même. Fini le froid, la pluie, la neige, le soleil, tous ses agresseurs pour la rendre poussière, le confort d’une table de salon s’offre à elle. Mais notre petite racine sait bien qu’elle retournera à la terre qui l’a nourrie, engendrée pour qu’elle même puisse nourrir mais en attendant elle profite au maximum de cette chance de deuxième vie.