Le solaire : une énergie non-violente, locale et équitable
Le formidable progrès technique mis en œuvre depuis plus d’un siècle a fini par aboutir à un renforcement intolérable des oppositions riches/pauvres, source d’une grande violence, et n’a été possible que grâce à l’exploitation massive du pétrole, puis du nucléaire. Deux énergies au centre de nos vies, deux énergies d’une grande violence censées nous faciliter la vie. En effet, si un litre de pétrole remplace la force des trois paires de bras, son exploitation nécessite des jeux de guerres incessants entre pays producteurs et pays consommateurs, elle creuse les inégalités, génère de fortes pollutions et angoisse les consommateurs qui subissent les variations de prix. Le nucléaire, lui, repose sur une technologie guerrière où la fission de l’atome est à l’origine des catastrophes d’Hiroshima, de Nagasaki, de Tchernobyl et de Fukushima-Daïchi, et l’on n’ose à peine imaginer les implications d’un conflit nucléaire qui pourrait éclater à tout moment.
Face à ces énergies dont l’exploitation, le stockage et la distribution façonnent un modèle social élitiste et fortement centralisé, les énergies renouvelables nous sont encore aujourd’hui proposées en France comme une simple option alors qu’elles sont bien évidemment la seule voie possible pour que nous puissions satisfaire nos besoins essentiels (cuisson, chauffage, production, déplacements) sans entrer dans des conflits sans fin pour obtenir un pétrole qui se fait de plus en plus rare et cher ou maintenir un parc nucléaire vieillissant et hors de prix (1). Le choix pensé des énergies renouvelables pourrait contribuer significativement à la diminution de bien des tensions actuelles et à venir.
Mais sous couvert de développement durable se dessine là encore un nouveau clivage entre des énergies « vertes » pour nous Européens nantis (les panneaux photovoltaïques, par exemple, que la majorité des habitants de la planète ne peuvent s’offrir) et des pans entiers de population qui resteront à l’écart d’une évolution énergétique. On voit ainsi fleurir des projets de centrales de très haute technologie implantées dans des pays pauvres ou des projets comme celui de Désertec, par exemple, qui entend exploiter l’ensoleillement du désert nord africain pour alimenter l’Europe en électricité « propre ». Autant de technologies « durables » mais qui finalement reproduisent l’ancien modèle énergétique centralisé sans rien remettre en question.
À l’inverse, une tendance s’amorce, à ma connaissance entièrement portée par des individus, et c’est celle d’une technologie énergétique en accès libre disponible sur Internet. On connait les innombrables efforts individuels et associatifs fournis depuis des années pour diffuser la cuisson solaire dans les pays pauvres. Mais pour faire face à la crise énergétique dans laquelle nous entrons, il s’agit à présent d’aller vers la décentralisation et de renforcer encore plus l’autonomie des peuples (les classes moyennes et plus démunies de nos pays, les paysans de l’hémisphère sud) et pour ce faire proposer des concentrateurs solaires assez puissants permettant de purifier de grandes quantités d’eau, d’alimenter l’activité de telle ferme ou de telle petite industrie locale. Contrairement à l’énergie du vent, de l’eau et de la géothermie, l’exploitation locale de l’énergie solaire n’est pas forcément associée à des matériaux coûteux ni à des infra-structures élaborées. Dans un esprit de large diffusion, ces types de projets sont pionniers en la matière : ne cachant rien de leur technique, les modèles peuvent généralement être construits localement sans assistance et sont élaborés dans une logique d’accès libre (open source) pour que tout un chacun puisse télécharger les plans et adapter les machines à ses besoins.
Comme d’autres initiatives de terrain dans les domaines de l’agriculture, de la construction ou de l’éducation par exemple, il s’agit de proposer une réappropriation de ce bien inaliénable que constitue un accès gratuit et sûr à une source d’énergie non-polluante. Et généreuse puisque le soleil n’est pas prêt de s’éteindre et n’appartient à personne ! Tout comme la qualité de l’eau, de l’air, de notre nourriture et de notre droit à un abri, un accès à une énergie non-polluante et qui ne met pas nos vies en danger semble une des priorités majeures des années à venir afin d’éviter tensions et conflits. Ainsi, dans la crise à rebondissements que nous traversons, la question de l’énergie participe elle aussi à l’obligation dans laquelle nous sommes de repenser les fondamentaux de nos sociétés.
Eva Wissenz
Article paru dans le n°162 de la revue Alternatives non-violentes d’avril 2012.
(1) Lors de la séance du 5 avril 2011, François Fillon a reconnu que nous avions passé le pic du pétrole depuis 2009 (cf les minutes de la séance en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale). Dans son rapport du 3 janvier 2012, l’Autorité de Sûreté Nucléaire a annoncé sans rougir que la France devait investir plusieurs milliards d’euros (pris où ?) pour rénover d’urgence des installations paradoxalement présentées comme sûres.