La décision de résister

De Eva Wissenz, 2. juin 2011

 

Au début de 2011, j’ai traduit un choix de textes de Jeff Knaebel proposé à divers éditeurs français engagés. Agone eut la politesse de me répondre "non" et les Editions d’Ores et déjà la gentillesse d’en discuter... pour le reste rien, donc j’ai fini par l’éditer moi-même. Une institution comme Stéphane Hessel peut bien s’indigner en des millions d’exemplaires, si un inconnu va au-delà de l’indignation et met sa vie en cohérence des États-Unis au nord de l’Inde l’esprit français ne s’y intéresse pas...

Je ne partage pas toutes les analyses de Jeff ni toutes ses conclusions, loin de là, mais l’homme a du moins eu le mérite d’essayer de toutes ses forces de mettre en cohérence ses actes et sa pensée dans un esprit de non-violence. C’est une force d’engagement et de bienveillance comme j’en ai rarement connue.

Voici donc un extrait de ce recueil que vous pouvez vous procurer ici.

APPELONS LES CHOSES PAR LEURS VRAIS NOMS

« Je suis triste de constater qu’à cause de tout un conditionnement mental, de mon ignorance et de la puissance trompeuse des médias, je ne me suis pas réveillé à temps dans ma vie pour m’éviter la honte de savoir qu’une bonne partie de mes impôts aura servi à financer l’assassinat de femmes et d’enfants dans des endroits comme le Nicaragua, le Guatemala, le Panama, le Vietnam et le Cambodge, quelques-uns des très nombreux pays détruits par l’empire américain. Ma complaisance morale reposait sur ma volonté de réussir dans mon pays et c’est à cause de cette complaisance que je ne puis échapper à ma honte : j’ai été le complice financier de ces meurtres en acceptant sans aucune résistance de payer les impôts qui les financent.

En dépit d’un exil auto-imposé, je continue à me percevoir comme un esclave de l’État. En effet, comme n’importe quel Américain n’importe où dans le monde, pris dans la toile orwellienne de la surveillance de Big Brother, je ne suis pas vraiment un homme libre. Être étiqueté, regardé, contrôlé, pisté via un passeport, des visas, des numéros d’immatriculation divers, des photos dites d’identité, des fiches biométriques et bientôt des implants cutanés, c’est être esclave. Actuellement, avec le Patriot Act qui bafoue le bel édifice qu’était la Déclaration des Droits américains, on peut même contrôler les livres que vous possédez. Par conséquent, me déplacer, travailler, vivre et m’exprimer reposent bel et bien sur le consentement d’un quelconque Big Brother de Washington.

Il ne s’agit pas seulement d’un esclavage par le travail. Pire encore, c’est un esclavage martial du début à la fin puisque le fruit de mon travail m’est pris de force via les impôts pour être placé entre les mains d’un groupe de politiciens qui ont décrété posséder un droit de vie ou de mort sur chacun de nous. Aucun enfant sur cette planète n’est à l’abri de la destruction nucléaire. Là où les systèmes économiques sont directement impliqués dans le fonctionnement d’un État, la question à savoir si un enfant affamé devrait avoir du blé, du riz, du lait ou rien du tout est déterminée par d’obscurs bureaucrates ou des politiciens qui ne font qu’agir dans leur intérêt propre, pour monter en grade au sein de leur compagnie.

Tout ceci m’amène à la première question que j’aimerais poser : à qui appartient mon corps ? Et si la condition humaine est telle que nous devons travailler pour survivre, cette question nous amène naturellement à la suivante : à qui appartiennent mon travail et les fruits de mon travail ? Suis-je un homme libre ou bien l’esclave d’un État-nation ? Quelqu’un m’a-t-il expliqué un jour qui et pourquoi tuait-on avec mon argent ? Ne suis-je qu’un esclave ou, pire, suis-je en train de financer des assassins ? »

Jeff Knaebel- 2005

Lire aussi, La décision de résister, paru dans le Journal des Alternatives Canada