V. K. Desai, un entrepreneur inspiré

De Eva Wissenz, 10. août 2010

 

Que se passe-t-il quand un entrepreneur puise son modèle économique dans les enseignements de Gandhi ? Cela donne une entreprise comme Tinytech (littéralement "minitech") dirigée depuis 1982 par V.K. Desai sur les principes de décentralisation et de retour à la simplicité.

Direction l’état du Gujarat, au nord ouest de l’Inde. Bordé par la mer d’Arabie nous sommes bien loin des langueurs tropicales du Sud et ses hordes de touristes. Gros producteur de lait, le Gujarat reste un état encore fortement rural. Globalement prospère, il n’est pourtant pas épargné par la misère. La petite industrie y est partout présente comme dans la ville de Rajkot.

Quel est votre parcours Mr Desai ?
Mon père était fermier ici, dans le Gujarat. J’ai une soeur, plus âgée que moi de 10 ans, nos 8 autres frères et soeurs sont morts petits, de misère. Au lycée, j’ai été fortement impressionné par les ouvrages du Mahatma Gandhi. J’ai rapidement compris qu’au nom d’un soi-disant développement, l’industrie était en train de ruiner la planète. Après mon diplôme d’ingénieur, c’est devenu de plus en plus évident et je le supportais de moins en moins. Par exemple, quand on a construit la nouvelle capitale du Gujarat, Gandhinagar, j’ai bien vu que le gouvernement indien demandait de lourds impôts aux gens mais que ces impôts ne servaient qu’à construire de beaux logements pour les fonctionnaires, jamais pour les pauvres.
Bien sûr, quand on veut changer les choses, c’est toujours un peu ambitieux et il faut bien commencer quelque part. Alors par quoi commencer ? D’abord, réduire la pauvreté, donner de la force, des outils d’autonomie. En 1982, après 14 ans de combat intérieur (j’avais une famille de 4 enfants à nourrir), j’ai décidé de démissionner pour démarrer Tinytech. A cette époque, j’avais 40 ans, j’en ai aujourd’hui 67... Les deux premières années ont été très difficiles car nous n’avions qu’un tout petit espace, mes économies ont fondu dans la petite unité de cimenterie que je proposais à la vente car personne ne m’a passé commande. Au bout d’un an, j’ai mis au point le moulin à huile qui permet à chacun d’extraire sa propre huile et là les commandes ont commencé à arriver.

Qu’est-ce que Tinytech ?
Je crois dans l’industrie et l’économie à petite échelle. Ici, nos usines s’occupent de l’assemblage de pièces fabriquées dans une vingtaine de petites usines ailleurs en ville. J’achète la matière brute, les ouvriers produisent les pièces et Tinytech les assemble. Pour ces usines, l’avantage est qu’elles n’ont pas de budget marketing puisqu’elles ne vendent pas directement. Pour moi, l’avantage est que je n’ai pas besoin de grands espaces ni d’investir dans plein de machines. De cette façon, investissements (et problèmes) sont partagés. Nous exportons nos machines dans 85 pays et nous tenons à rester petits - je serai ravi si d’autres s’inspirent de ma démarche pour produire les mêmes machines. D’ailleurs elles ne sont pas brevetées et j’encourage les copies !

Pourquoi vous avez baptisé vos usines “temples de yoga” ?
Chaque fois que je fais quelque chose, je me demande si cela va augmenter la richesse des pauvres et diminuer celle des riches... Mes usines s’appellent effectivement “Prayog Mandir” (Temple de yoga avancé) et “Udyog Mandir” (Temple de yoga très avancé). Quand vous pratiquez le yoga, ça vous fait du bien. Mais le niveau suivant c’est quand vous prenez conscience que toutes les activités devraient être faites pour le bien-être de la société entière. Dans nos usines, nos activités permettent à des gens fragilisés par l’énorme machine économique d’être plus autonomes, de prospérer, c’est le yoga de l’action !

Quelle est votre expérience avec le solaire ?
J’ai commencé à m’y intéresser il y a dix ans car une révolution solaire serait la plus grande révolution énergétique jamais connue. L’énergie solaire ne peut pas être centralisée, elle est gratuite, aucun monopole n’est possible ! A l’époque, je ne m’y connaissais pas trop alors j’ai contacté W. Scheffler qui est venu ici. Son réflecteur est formidable, puissant et très utile pour des communautés mais reste assez complexe. J’ai donc mis au point un petit cuiseur solaire collectif très simple. Nous en avons vendu 300 ici et nous l’exportons dans 25 autres pays. Mais pendant toutes ces années, j’espérais que quelqu’un allait trouver le moyen de produire de l’énergie solaire de manière simple et économique... Nous sommes en train d’y arriver avec Eerik Wissenz et son Projet du Feu Solaire.

A votre avis, où en sont l’Orient et l’Occident ?
Je pense que l’Europe est victime du gigantisme. En Europe, et peut-être aussi en Amérique du Nord, beaucoup de gens comprennent que ça coince et tentent d’aller vers autre chose mais c’est très difficile. L’Inde est intéressante pour les Européens car le pays est très décentralisé tout existe et encore à petite échelle. Par exemple, à Rajkot, ville de 1,43 millions d’habitants, le lait frais est livré chaque matin de la campagne voisine... L’Inde possède une clef mais hélas, notre gouvernement est esclave du modèle de gigantisme car nos élites sont éduquées en Occident ! Je pense que l’Orient peut créer son propre développement, nous devons y croire et améliorer dans notre culture tout ce qui peut l’être, comme la position des femmes par exemple. Ce que nous devons apprendre de vous nous devons l’intégrer dans nos propres termes et ce que l’Occident doit apprendre de nous c’est la leçon de sagesse contenue dans la pensée de Mahatma Gandhi et retrouver la beauté de la simplicité.

Eva Cantavenera
(hiver 2009)

Site Tinytech : http://www.tinytechindia.com/

Entretien paru dans les revues Silence (2010), Altermondes (2010) et sur le site The Different Magazine.