Bouddhisme et écologie en Limousin

De Eva Wissenz, 13. avril 2012

 

Anciennement Parisiens, les éditeurs Sylvie Chang et Dominique Véret ont posé leurs ordis en Limousin, au pied d’une pagode bouddhiste. Contraste et mixité. On imagine la richesse des échanges, leur profondeur, le son grave de la cloche de bronze, une salle ouverte à la pratique du yoga, une harmonie modeste en rase campagne française où l’on retrouverait quelque chose de la simplicité originelle du Bouddha assis au pied de l’arbre de la Bodhi - un figuier si je me souviens bien.

Hélas, ce n’est pas vraiment ça : création d’un parking bétonné, stupa en ciment venue à grand frais du Vietnam et érigée sur un tas d’ordures, bassin aux lotus envasé, chênes découpés menus pour remplacer un magnifique portique en bois par du béton, pas de concertation, aucune utilisation de matériaux locaux, pas de restauration des vieux bâtiments attenants si typiques de la région... voyez plutôt...

Les Occidentaux que nous sommes, si gourmands de spiritualités "douces", ont vite fait d’associer le bouddhisme à l’écologie, "bien plus que n’importe quelle autre religion" comme le fait remarquer Dominique Véret, qui a bien voulu nous parler un peu de ce bouddhisme qui n’en n’a que le nom.

Quelle est ta connaissance de l’Asie ? De sa spiritualité ?
"En 1981, j’arrive à Bangkok en juillet pour un stage de boxe thaï en banlieue de cette ville. Je suis alors profondément touché par le bouddhisme thaï. Je suis depuis toujours en relation avec la Thaïlande où j’ai pu vivre quatre fois dix jours dans une pagode dans un village Isan près du Cambodge. Nous avons vécu d’une manière très proche avec mon beau-père chinois pendant dix sept ans. J’ai voyagé avec lui en Thaïlande et à Hong Kong. Je travaille depuis vingt quatre ans avec le Japon et sa culture pop. J’ai fait trois courts séjours dans des temples bouddhistes japonais. Une semaine dans une pagode bouddhiste au Népal et depuis dix sept ans, je suis en relation avec un brahmane astrologue à Katmandou. Je vis avec sa famille quand je vais au Népal. Je suis allé deux fois à des Kumba Mehla (grands pèlerinages hindous au bord du Gange en Inde) avec le pandit qui s’occupe d’un temple hindou des communautés indiennes, réunionnaise et mauriciennes de Paris. Et je vis depuis 2001 à côté d’une pagode bouddhiste vietnamienne dans un hameau du Limousin.
J’ai surtout des expériences de vie, de travail et quelques pratiques."

En venant vivre près d’une pagode, c’était vraiment une superbe occasion de rencontres et d’enrichissements mutuels. Comment ça s’est passé ?
"Nous vivons dans notre hameau, juste à côté d’une pagode vietnamienne de l’école Linh Son qui posséde aussi une pagode à Joinville-le-Pont et une université bouddhiste à Vitry-sur-Seine. Nous sommes arrivés en 2001. Au début, nous pouvions pratiquer la méditation avec des moines et des nonnes sympathiques. Mais depuis que le vieux Vénérable de notre pagode est décédé et que le maître qui avait fondé cette congrégation est aussi disparu, toute dimension spirituelle, méditative et conviviale s’est estompée au fil des ans. Nous sommes maintenant voisins d’une pagode pour consommateurs de bouddhisme coutumier et superstitieux. L’endroit est de plus en plus communautariste et il n’y a plus cette magie, cette atmosphère si particulière des pagodes asiatiques. Les Français qui fréquentaient l’endroit se sont éloignés et seuls viennent encore des curieux qui trouvent l’endroit exotique. Quelques personnes de Limoges continuent à y croire en se mêlant aux vietnamiens."

Où va ce bouddhisme ? Quel est son message écologique ?
"Il sert à rassurer des asiatiques qui ont peur d’aller en enfer et qui font des dons pour que les moines puissent continuer à être au chaud. Ce genre de bouddhisme n’a aucun message écologique à communiquer, il bétonne de plus en plus notre village, et dessèche les relations humaines. C’est le monde des asiatiques conservateurs qui vivent dans les intrigues et le mensonge en sauvant la face par des sourires. Nous avons une stupa de dix huit mètres depuis l’année dernière : orgueil vengeur et phallus vietnamien qui saluent les rancunes de la décolonisation ? Où est le Bouddha dans ce monument construit sur une décharge de briques, de tuiles, de palettes et de ferrailles diverses ? Et ça continue car Linh Son veut acheter tout le reste du hameau en surenchérissant pour que nous autres les locaux ne puissions pas sauver les trois dernieres maisons, héritages de nos ancêtres, d’un bétonnage et d’aménagements du pire mauvais goût. Ces maisons paysannes limousines méritent beaucoup mieux de notre part. Pour moi qui ai beaucoup travaillé à une meilleure connaissance de l’Asie à travers nos activités dans le manga et qui aime la nature de nos campagnes c’est vraiment dur de voir ça"

Quel est le sens de ce bouddhisme ? Quel message apporte-t-il ? Cette spiritualité affirme que tout est lié... drôle de manière de l’incarner ! On le voit, là aussi, orgueil et destruction n’en finissent pas de marcher main dans la main, c’est navrant.

Pour contacter Dominique qui aimerait bien faire bouger les choses : dominique.veret (at) akata.fr

J’ai déjà parlé ailleurs du travail d’Akata, cette entreprise qui dirige la collection manga des Editions Delcourt en jonglant entre la production de titres qui se vendent et l’envie sincère de mettre autre chose entre les mains des jeunes.
Autre chose comme du bon sens, de l’écologie, de l’humour pour contourner ces fichus clichés tenaces, des réflexions sur la responsabilité, l’engagement et la spiritualité, de la sobriété heureuse, bref tout un pan de leur catalogue qui tend vers les alternatives.