Sylvaners, à la forêt nous sommes liés, dit-elle
Pour une fois dans ces chroniques je vais parler très directement de ma petite personne. J’ai toujours eu avec la famille, du moins la notion de famille sanguine et sociale, un doute. Un léger doute devenu avec le temps une poutre, un pan, un gouffre, bref un truc ingérable, quelle que soit d’ailleurs la nature de mes relations avec les membres de cette famille. C’est juste que c’était trop étroit, ce qui revenait soit à me placer dans une rébellion permanente vis-à-vis de "ma" famille, soit à parvenir à penser les choses autrement.
J’ai toujours détesté les albums de famille. Un jour toutefois je m’en fis un, que j’ai encore. Je collais sur un carnet des photos d’arbres à la suite les unes des autres, des troncs, des feuillages, des bourgeons, des bois morts et vivants qui, tous, m’avaient touchée, qui tous, à des endroits différents du monde, m’avaient fait me sentir chez moi, en famille précisément. Cet album fait sans y penser fut la solution naturelle du problème.
Ma famille c’est tout ce qui vit... et tant pis si la société actuelle a du mal à se le figurer. Certain-es seront plus proches que d’autres, c’est entendu, mais tous de la même famille et tous partageant en moi le même amour. J’ai du mal avec les cas particuliers - même si j’ai longtemps cru en être un.
Rien du vivant ne m’est étranger - tout m’est par conséquent familier.
Plus j’avance et plus je vois que chaque être vivant est l’expression unique de la vie, que nous sommes tous reliés à la même source, marchant sur la même terre, respirant le même air. Parfois ça prend du temps avec les êtres, parfois ça va très vite. C’est plus simple pour moi avec les arbres, et les livres aussi qui sont les forêts de l’esprit.
Sylvaners c’est juste un air de famille... Un air que j’ai eu un plaisir fou à retrouver !
Et son auteure, Jennifer, pour moi c’est un gros pain joufflu, un pot de miel fabuleux et un sourire immense qui se met tout de go à me parler italien au fond d’un village écologique du Limousin... Elle me ressort la langue maternelle au milieu du repas. Et même sans cela, ce fut immédiat.
Son premier roman, Sylvaners, je viens de le terminer.
C’est l’histoire d’un oubli, d’un peuple qui se divise en deux : les uns occupant l’espace visible que nous connaissons bien, les autres l’espace invisible pour nos yeux qui fait aussi tout le vivant.
Des arbres meurent, d’autres sont replantés. C’est l’enjeu. Il est de taille et dépasse largement la fiction. C’est une partie de nous contre une autre.
C’est le livre d’un oubli - celui qui nous ensevelira si nous ne nous éveillons pas de ce qui se tient là devant nous, cette culture de mort et de destruction.
Mais c’est aussi l’histoire puissante d’une réparation portée par le rythme d’une langue qui est celui de la danse, de l’amour et de la vie. Une langue vraie qui cherche et qui trouve passant de la nature à la page comme un souffle. Du grand art tout simplement parce que le lire ce sera revivre, respirer par l’esprit et sentir les mains picoter d’aller caresser les feuillages.
A mettre d’urgence entre toutes les mains adolescentes et autres...
Sylvaners, éditions Patte d’Ourse.
Site de l’auteure, Jennifer Dalrymple.
Texte repris dans S !lence, Eco Sapiens, The Different Magazine.