Des poissons, des océans

De Eva Wissenz, 12. juillet 2012

 

"Comme j’ai fini par le constater, le mot guerre est le terme exact pour évoquer notre rapport aux poissons - il décrit précisément les technologies et les méthodes mises en œuvre à leur égard, ainsi que l’esprit conquérant qu’elles traduisent. Plus mon expérience du monde de l’exploitation des animaux à des fins alimentaires s’est approfondie, plus il m’est apparu évident que les transformations radicales qu’a connue la pêche au cours de ces cinquante dernières années sont l’expression d’un phénomène beaucoup plus large. Nous avons déclaré la guerre, ou plutôt laissé mener la guerre contre tous les animaux que nous mangeons. Cette guerre est d’un type nouveau et porte un nom : l’élevage industriel.
[...] L’élevage industriel considère la nature comme un obstacle qui doit être surmonté.
[...] Les technologies militaires ont été littéralement et systématiquement appliquées à la pêche. Radars, sonars (autrefois utilisés pour repérer les sous-marins ennemis), systèmes électroniques de navigation développés pour la marine de guerre et, depuis la dernière décennie du XXe siècle, localisation par satellites permettent désormais aux pêcheurs d’identifier les lieux de rassemblement des poissons et d’y retourner au moment opportun. Des images satellites des températures océanes sont également utilisées pour repérer les bancs de poissons.
Le succès de l’agriculture industrielle dépend des représentations nostalgiques que les consommateurs se font de la production de nourriture - le pêcheur ramenant sa prise au moulinet, l’éleveur de porcs qui connaît chacun de ses cochons, l’éleveur de dindes observant un petit bec brisant la coquille de son œuf - parce que ces images correspondent à quelque chose que nous connaissons et en quoi nous avons confiance.
[...] Que se passerait-il si l’étiquetage d’un produit indiquait combien d’animaux ont été tués pour que celui que nous voulons manger se retrouve dans notre assiette ? Eh bien, pour ce qui concerne les crevettes d’Indonésie, par exemple, on pourrait lire sur l’emballage : POUR 500 GRAMMES DE CREVETTES, 13 KILOS D’AUTRES ANIMAUX MARINS ONT ÉTÉ TUÉS ET REJETÉS A LA MER."

In Faut-il manger des animaux ? de Jonathan Safran Foer, 2010, Point Seuil, p. 49 sq.