J’ai comme un doute...

De Eva Wissenz, 18. janvier 2014

 

Dans l’édition une case remplie, savoureuse, juteuse et alléchante au possible, est celle de la littérature jeunesse. Il se trouve que par mon travail sur LaSeiche j’ai l’occasion d’en lire souvent, et quel délice. Tellement même que je n’ai envie de lire que ça et me demande où se situe la différence entre la littérature jeunesse et "l’autre" ?

Dans Une saison avec Jane-Esther, Shaïne Cassim construit un récit d’initiation parfait — initiation à tous les drames de la vie, à l’essentiel de la création, aux chaos de l’amour, aux blessures du racisme. Quelques semaines de la vie d’une jeune fille traversée par une poule aux coudes pointus, allongée au bord d’une rivière du Sud des Etats-Unis. Une petite merveille.

"Je ne parlerai pas de ce qui a changé ni de tout ce qui reste encore à changer.
Je parlerai à celles et ceux qui sont là et pas à ceux qui sont partis.
Je parlerai de ce qui me réjouit.
Du mystère et de l’inconnu. De la sensation et de l’intuition poétique. De ce qui nous conduit à montrer le monde non pas tel qu’il est, mais tel que nous le sentons. Car le monde réel est celui que nous sentons. Ne croyez pas au monde qu’on essaie de nous vendre, trouvez le vôtre et confrontez-le à ceux qui ont rencontré le leur. Oubliez ceux qui n’ont ni secrets ni silences ni questions, car ne possédant pas cela, ils ne possèdent rien et n’ont rien à vous offrir. Avec les années, les rencontres et les voyages, j’ai aussi compris que la sensation est souveraine, à condition de ne pas la confondre avec une impression..."

Eden Villette flâne, traque sa poule, s’élance en amour, cernée évidemment par toute l’immémoriale folie du monde, intensément forte pourtant par son ancrage dans la poésie qui, quoi qu’on en dise, n’a pas déserté nos contrées.

Et puis, je me suis plongée dans un court récit, Au pays des pierres de lune, de Tania Sollogoub et là encore, stupeur. C’est tellement simple au fond. Une grand-mère russe, des souvenirs d’émigration, un monde d’avant, la convivialité à l’oeuvre et le beau jeune homme fulgurant qui traverse son coeur, de part en part. Je n’ai posé le livre qu’une fois terminé, triste et gaie, enchantée de toute la vie qu’il contient et qui ramène à la vie.

D’abord désorientée, j’ai finalement trouvé ce qui définit la littérature jeunesse. Premier point, les personnages principaux y sont (le plus souvent) jeunes et l’intérêt de la manoeuvre est qu’il n’ont pas encore totalement absorbé la croyance illusoire "qu’on ne peut rien changer que voulez-vous c’est comme ça", et ça vaut son pesant de cacahuètes par les temps qui courent.

Second point, les auteurs supposent que les lecteurs ont des centres d’intérêt un chouia plus palpitants que (au choix) la dépression, la crise, la misère humaine, le catalogue complet des perversions modernes et des violences de l’histoire — ce qui permet là encore de reprendre son souffle croyez-moi. Enfin, en toute logique, les histoires ne sont pas déprimantes. Allez, place aux "jeunes" ! Ruez-vous !